Un homme est riche en proportion du nombre de choses qu'il peut arriver à laisser tranquilles.
Ce qui se trouve au cœur de l’ile d’Egine est un sentier. Lorsqu’on le suit sous le soleil, il fait passer par un chapelet de trente-trois églises, dont plusieurs sont effondrées. Juste devant le chemin se trouve le monastère consacré à Saint Nectaire. Je pense souvent à la petite cour du monastère, à son silence de vent, au peuple recueilli. Et ceux qui y sont venus y pensent aussi.
On y vient faire le tour des reliques de Saint Nectaire. Surtout de belles dames qui portent avec elles leurs histoires intérieures et toute la profondeur des âges immenses de l’humanité dont seuls les rides et les jupons froissés peuvent rendre compte. Elles approchent la pierre et écoutent la pierre, comme si Saint Nectaire allait leur parler. Tout est si pieux ! Nous nous assoupissons sur les tuiles brunes à quelques metres de là, entre le bruit des pas, buvant de l’eau.
La précarité n’est pas le sentiment d’être dans des sables mouvants. La “précarité” est l’état de vivre sur les rares cultures “obtenues par la prière”. Dons fragiles, périssables, voués à la mort, comme le sont tous les rêves de fleurs, ou chaque objet emporté par un réfugié. Je nous souhaite de savoir reconnaître cela. Nul besoin que les saints répondent ! Chaque exaucement est un pas vers l’ennui. Laissons suspendus tous les mystères, et tous les hélas. Des générations cachottières ont œuvré à sauver quelques non-dits où l’on puisse encore se nicher. C’est seul dans ce qu’il subsiste de ces terres inviolées que peut se déployer la précarité vivace qu’on appelle l’aventure. Ne l’épuise pas, de la dis pas toute en entier. Laisse leurs robes aux secrets car ils sont le refuge profond où les forcent recommencent. Ecoute la tombe qui ne te dira rien, ce sera déjà un temps repris aux pioches et aux ongles qui en convoitent les trésors.
C’est ce que je nous souhaite : je nous souhaite de poser tous ces batons techniques avec lesquels nous allons touiller, agacer la matière même de la paix. Je nous souhaite de nous souvenir (comme Thoreau assis inspectant la campagne) qu’un homme est riche en proportion du nombre de choses qu'il peut arriver à laisser tranquilles.