Le Mont Analogue
C'était le printemps
Dans le Livre des êtres imaginaires, qui est peut-être la plus infinissable littérature de cabinet jamais écrite, Margarita Guerrero et Jorge Luis Borges cataloguent la faune inventée ou crainte par les hommes successifs. La plupart de ces créatures sont des assemblages de deux ou de trois animaux moins fictifs, et il est curieux que la somme des animaux imaginaires, qui devrait être une multiplication de toutes ces combinaisons possibles, soit en fait bien moins vaste que la vaste botanique de Dieu.
Livre perpetuellement inachevé, et qui omet, sans doute volontairement, cette histoire que rapporte René Daumal, dans le Mont Analogue :
Histoire des hommes-creux et de la Rose-amère.
Les hommes creux habitent dans la pierre, ils y circulent comme les cavernes voyageuses. Dans la glace ils se promènent comme des bulles en forme d'hommes. Mais dans l'air ils ne s'aventurent, car le vent les emporterait.
Ils ont des maisons dans la pierre, dont les murs sont faits de trous, et des tentes dans la glace, dont la toile est faite de bulles. Le jour ils restent dans la pierre, et la nuit errent dans la glace, où ils dansent à la pleine lune. Mais il ne voient jamais le soleil, autrement ils éclateraient.
Ils ne mangent que du vide, ils mangent la forme des cadavres, ils s'enivrent de mots vides, de toutes les paroles vides que nous autres nous prononçons.
Certaines gens disent qu'ils furent toujours et demeureront. D'autres disent qu'ils sont des morts. Et d'autres disent que chaque homme vivant a dans la montagne son homme-creux, comme l'épée a son fourreau, comme le pied a son empreinte, et qu'à la mort ils se rejoignent.