Carnaval à Düsseldorf
Je suis à un vernissage, dans un de ces palais romains composés d’un long couloir vertébral et d’une série de vastes pièces aux murs blancs. Il y une foule mondaine en apparat. Les femmes ont les cheveux nouées sur des écharpes de matières presque transparentes, elles portent des robes impliquées et des chaussures ; les hommes sont en costumes politiques et internationaux. Moi aussi je suis venu en costume, mais, avec mon sac et le Leica, je me sens un peu embarrassé. Quand finalement je t’aperçois au loin, tu parles avec un ministre étranger et une ronde d’autres personnes. Nous échangeons nos yeux, je sais que tu m’as vue, parce que j’ai vu ta prunelle dorée. Mais ce soir c’est ta soirée. Tu exposes ton travail dans cette galerie d’art, moi je ne suis qu’un voyageur.
Le temps s’écoule et les ministres retrouvent leurs voitures noires. J’erre dans le couloir en regardant dans chaque pièce. J’aimerais te saluer, au moins pour te remercier de m’avoir invité. Je me sens spécial tout de même, je sais qu’une chose fragile nous unit à jamais, et je sais que tu peux te permettre de ne pas t’occuper de moi, justement grâce à cette chose. C’est ce que je me dis. Mais je te cherche quand même. Tu es là dans une pièce, assise à une table, en train de parler avec des commissaires ou des critiques. Tu me vois, tu me souris, et tu essaies de me faire comprendre quelque chose, peut-être d’attendre, peut-être que tu m’aimes, peut-être de revenir demain, ou de m’éloigner.
Je vais aux toilettes (il y a des traces de produit bleu, du sale et j’ai peur de me tâcher). Quand je sors, tu as changé de pièce. Je te vois au travers de la vitre. Tu es là, juste là. Quand je m’apprête à entrer, je me rends compte que je me suis mal rhabillé, que ma chemise pend de ma veste, que ma veste est pliée, que les lanières du sac et du Leica s’entremêlent inextricablement. Toi, tu portes des matières épaisses et veloutées et un médaillon d’or. Je ne veux pas te faire honte, alors quand tu sors dans le couloir, je me cache dans un recoin, avec l’aide de Dante. Quand finalement je suis présentable, tu as changé de pièce de nouveau, tu parles avec d’autres commissaires, d’autres importances. Je te regarde sourire à moitié, rire en te fatiguant. Je sais que dans le fond rien de cela ne t’intéresse, mais je me mets à douter du reste. Tes convives me voient te tourner autour, ils ne savent pas qui je suis. Et je songe à entrer, à dire que tout cela tourne à la farce, que, tout de même, je peux te serrer dans mes bras, moi, que ce serait normal qu’au moins je puisse te toucher.
Je me souviens d’un de tes compagnons, plus petit que les autres avec une tête de chat, qui tira le store sur la vitre qui nous séparait, et te priva de ma vue.
Rome, le 25 mai 2007