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Tout ce qui est inévitable devrait être joyeux.

Tout ce qui est inévitable devrait être joyeux.

En March 2017
C'était le printemps
Ref

La nuit, le deuil, l’oubli, qu’on vous trahisse ou qu’on fasse injustement de vous un traître, la chance ou le regret, ce sont des événements mondains. Et même la lassitude qui vient se faire éprouver lors de passions qui jadis nous auraient animées pour toujours, c’est une chose commune. Parmi tout ceci, tout ce qui compose la vie de tous, tout le temps, on peut bien sûr compter quelques épreuves géantes, et un nombre fini, envahissant, de fatalités douces. Mais c’est justement là, dans le sentiment de la fatalité, que se trouve la plus ordinaire occasion de reconnaître, à côté du nombre modeste de choses qui nous appartiennent, l’infinité des voies qui réveillent en nous l’humanité et ses puissances collectives.

Une première façon de vivre avec la fatalité consiste à continuer sans la regarder, puisant l’essence même de la vie dans la superstition selon laquelle refuser ce qui est destiné est le propre de l’Homme, et qu’on appelle l’espoir. Une autre voie serait de compter sur nos doigts ces événements de la vie, de passer un moment en leur compagnie, afin de reconnaître en eux le caractère commun de ce qui ne dépend pas de nous.

Vers nous, à travers chaque chose universelle et mystérieuse, c’est en réalité l’espèce qui s’avance. De ce à quoi on ne peut pas échapper, de ce qui ne nous appartient pas en propre, de tout ce qu’il échoit à tous de traverser, il faut apprendre à tirer une liesse également démesurée, une force également multiple, cette joie impersonnelle qui n’a pas commencé avec nous, et dont nos meilleurs rires empliront le cours. C’est ce que je nous souhaite : de poursuivre avec n’importe quelle allégresse possible cette forme particulière de l’harmonie qui peut nous sembler triste si on oublie qu’elle nous précède, nous entoure et nous justifie.

Ce qui est vital dépasse ce qui est nécessaire d’une mesure égale à celle qui sépare les prisons des grandes histoires d’amour.

Ce qui est vital dépasse ce qui est nécessaire d’une mesure égale à celle qui sépare les prisons des grandes histoires d’amour.

À Tokyo
En March 2016
C'était le printemps
Ref

Il y a quelque chose de profondément luxueux dans l’espèce humaine. J’ai peur, maintenant que les appels aux renoncements se multiplient, qu’on oublie le geste inaugural de notre espèce, dans quelque grotte, il y a soixante mille ans, ni alimentaire, ni reproductif : l’ornement inutile d’une main peinte sur une paroi, pour prévenir “cela n’est pas nécessaire, mais cela m’est vital”.

Nous convoitons l’assurance et le contrat, mais c’est dans la confiance et la poignée de main que nous reconnaissons l’amitié. Nous voulons assouvir nos pulsions, mais c’est dans la tension du désir que nous nous sentons exister. Nous fouillons le monde en quête de certitudes, mais le sentiment que de grandes choses restent à vivre nous attend dans la foi et dans l’espoir.

Dans ce qui est nécessaire, nous trouvons un logement sur Terre, un toit de feuilles au-dessus de notre tête : le contrat, l’assouvissement, la certitude. Mais c’est dans ce qui ne l’est pas que nous nous sentons vraiment vivre : la confiance, le désir, le risque, la foi, l’espoir. Ce qui est vital dépasse ce qui est nécessaire d’une mesure égale à celle qui sépare les prisons des grandes histoires d’amour.

De là, il apparaît que nous devons sauver deux choses : cette Terre qui nous loge, avec ses limites et l’équilibre précaire qui permet à nos civilisations de prospérer ; mais aussi notre habitat, qui déborde du monde physique vers la possibilité de la poésie, de la couleur, de la prière, de la superstition, et même de l’activité créatrice du mensonge.

Ce ne sont pas uniquement les ressources planétaires que nous épuisons. Il y aussi quelque chose d’aride dans la manière dont nous ramenons les humains à des machines à vivre. Être là, avec le nécessaire, c’est survivre. Ce qui est vital, c’est la toujours lumineuse possibilité qu’il y ait plus que nécessaire.

Voilà ce que je nous souhaite. Parmi les choses qui deviendront ostentatoires, ou trop chères, ou auxquelles il faudra dire au-revoir, conserver subtilement celles qui, malgré leur apparence dérisoire ou frivole, nous donnent accès à ce qu’il y a de plus humain en nous : tout ce qui nous permet de vivre une vie plus grande que la vie.

La verrerie de l’existence 

La verrerie de l’existence 

En January 2015
C'était l’hiver
Ref

Je me réveille au beau milieu de la nuit et je surprends ce rêve symétrique.

Tous les animaux marchent en paires égales. Il y a deux de chaque choses dans le monde. Tous les animaux marchent par paires vers l’entrée d’un parc ou d’un jardin, devant laquelle est postée un homme et sa réplique. Ils bougent de manière exactement identique. Chaque homme identique accueille avec égalité chaque animal de chaque paire dans le jardin.

Rêvé à Paris le 14/11/18

Connaître quelle est sa place

Connaître quelle est sa place

En November 2014
C'était l’automne
Ref 400.XX

Parmi l’aspect multiple du paysage, dénicher le trésor de la maison solide, la maison bien bâtie, patrie intime, refuge unique contre le nombre des loups. Chercher et savoir reconnaître les lieux et les moments propices à notre venue. Laisser les autres aux autres, qui ont d’autres couteaux, d’autres usages. Savoir la forme que l’on a, s’emboiter dans le monde en retour. Sur le chemin, trouver la table amicale où poser nos soucis. Dans le cœur de quelqu’un, une attention prêtée et la sororité de l’âme. Chez soi, l’acceptation de la chose que nous sommes. Dans les foules des aérodromes, les traits des visages familiers. A ceux qui ne paraîtront plus, offrir un au-revoir. Dire quelque chose qui nous ressemble. Habiter les tristesses, les morts, les trajets et les situations où l’on nous met. Recevoir et avoir envie de rendre, aussi à cela qui ne nous ressemble pas.

Les contes de départ peuvent être des retours au pays, il ne dépend que de la ferveur de ceux qui, voyant la marée, désirent quitter un sol, ou convoitent l’arrivée de l’autre côté. “Tous les malheurs du monde viennent de ne pas être à sa place. Et tout le bonheur de la vie est de remettre dans son cadre ce qui en a été écarté”. Je nous souhaite cela : nous trouver.

Les gens qui passent et ceux qui restent

Les gens qui passent et ceux qui restent

En October 2014
C'était l’automne
Ref

Rêve du verre d’eau surnuméraire.

Quelqu’un dort dans mon appartement avec moi. Sa présence m’inquiète. Je suis au fond de mon lit mais je l’entends remuer. Je lui demande un verre d’eau. J’ai déjà un verre d’eau plein sur ma table de chevet. J’espère qu’il ne s’en rendra pas compte en me tendant son verre d’eau car il comprendrait alors que je souhaite juste le faire venir à moi pour découvrir son visage.

Il me tend le verre d’eau que je pose à côté de l’autre. Il ne s’en rend pas compte. Son visage est gentil et nocturne : il pense déjà à autre chose. Il me demande avant de partir s’il est possible de «changer la date». Je me souviens alors que nous devons cuisiner ensemble et que c’est pour cela qu’il est dans les parages : je l’accueille. Ce n’est pas un intrus qui rode, je suis en réalité son hôte et c’est moi qui l’ai invité.

Rêvé à Paris le 17/11/15

Il existe, entre les conséquences de nos vies et la stature des astres, une disproportion humiliante et tranquille

Il existe, entre les conséquences de nos vies et la stature des astres, une disproportion humiliante et tranquille

En May 2014
C'était le printemps
Ref

Pendant que nous menons nos affaires, l’univers continue de s’étendre dans toutes les dimensions, comme une maille tirée par douze mains. Le destin profond de chaque atome est l’isolement et le silence thermique. Il serait fou et métaphorique de dire que la société humaine du XXIe siècle ressent déjà l’effet de cette dislocation. Que si l’espace grandit entre les classes sociales, c’est depuis le Big Bang. Que si les générations peinent à se parler, c’est à cause d’une dynamique cosmique. Que tout semble de plus en plus hors d’atteinte, parce que c’est écrit dans le ciel. Contrairement aux galaxies et aux constellations, nous possédons la politique, l’éthique et le soucis de l’autre nous permettant, si nous le voulons, de nous rapprocher.

Alors où sont ces grandes puissances d’intégration pour les pensées, les souvenirs, les rêves de l’homme ? Quelles forces peuvent nous aider à composer un monde commun ? Comment articuler tous nos mensonges, nos contradictions, nos mauvaises fois avec le fait que nous essayons juste de vivre une vie bonne ? On peut être à la fois entrepreneur, avoir peur, et ne pas vendre des produits inutiles. On peut être une femme ou un homme politique, convoiter le pouvoir, et rester honnête.

Les couturiers sont de grands intégrateurs. Voilà ce que je nous souhaite : recoudre comme si nos vies en dépendaient, la maille distendue de la société ; comme on reprise la dernière chaussette en hiver. Intégrer ce qui s’éparpille, réunir ce qui s’éloigne, susciter chez ceux qui cherchent à se distinguer le désir de se rejoindre. Réconcilier les contraires, dans la société comme en nous-mêmes. Pour cette année : opérer une synthèse dans la multitude que nous sommes, trouver l’unité dans le citoyen, le parent, l’employé, le militant, le déserteur, l’ambitieux, le rassembleur, le réticent. Quelque chose de valeur et de jeune.

Je ne suis pas inquiet du sort de la planète. Et quiconque a déjà levé les yeux vers l’infini, une nuit par un ciel étoilé, ne devrait pas s’inquiéter non plus. Il y a en nous le pressentiment de la discretion de notre vie. L’expérience de la Voie Lactée le ravive. Et quoique notre vie soit “tout ce que nous ayons”, il existe, entre ses conséquences et la stature des astres, une disproportion humiliante et tranquille. La Planète joue un autre jeu que nous. Rien de ce que nous ne pourrons jamais faire n’aura de portée au-delà d’une communauté minuscule d’êtres vivants, coincés dans la contrainte de notre présence. Et c’est justement pour ça que cette communauté devrait représenter ce qu’il y a de plus sacré : parce qu’elle témoigne, dans ce que nous lui faisons subir, du fait que nous existons vraiment.

Ramasse tes dieux

Ramasse tes dieux

En January 2014
C'était l’hiver
Ref

Yaoyorozu no kami. Le Shintoïsme possède huit millions de dieux (un nombre infini de dieux). Ces dieux sont la rivière, le vent et le cerf. Ils sont une chose commune, une chose des grands chemins. Ils sont la terre qui apaise et le campement de la montagne. Ils sont l'enfance sacrée, la maison et les grands paysages. Nous les partageons tous, en eux habite un regard éveillé.

S'il arrive que leur clarté nous échappe, c'est que les mois se sont pelotonnés dans les mois. La vie devient dure. Souvent, non sans avidité, nous nous approprions leurs bienfaits. Séculaires, dans l’ombre, ils attendent pourtant que nous fassions halte, comme des enfants, dans leurs visages profonds. Ce qu'il y a de mutuel en eux cherche à nous sauver.

C'est cela que je me souhaite. Retrouver le monde, c’est retrouver le geste par lequel nous savons détisser, un, à un, les noeuds qui entremêlent nos vies parfois jusqu’à l’inextricable. On prie dans le sud Maria Desatadora dos Nós qu’elle nous vienne en aide. Mais le monde tout entier en possède le désir. Je nous souhaite que la multitude moins occupée des petits dieux nous prête ses doigts transparents. Je nous souhaite de savoir ramasser leur nombre infini, qui jonche patiemment la route. Je te souhaite cela.

Le rêve et la fleur philosophique

Le rêve et la fleur philosophique

À Granada
En August 2013
C'était l’été
Ref 346.20

If a man could pass through Paradise in a dream, and have a ower presented to him as a pledge that his soul had really been there, and if he found that ower in his hand when he awake — Aye! and what then?

Samuel Taylor Coleridge

Rien de plus beau que quelqu'un qui est absent de sa propre beauté

Rien de plus beau que quelqu'un qui est absent de sa propre beauté

À Ægina
En June 2013
C'était l’été
Ref 331.36a

Rien de plus beau que quelqu'un qui est absent de sa propre beauté. Une personne dont la beauté se déroule sans elle, ou à travers elle, et sans qu’elle ne s’en aperçoive. Un humain dont la beauté se déploie sans qu’il ne la soupçonne. Ces gens sont toujours là, sous les bougainvilliers, cependant la sensibilité qui nous permet de nous rapprocher d’eux est de plus en plus frêle. Comme si taire une chose, fût-elle physique, c'était atteindre à sa richesse. Comme si se réserver, c’était perdre en valeur. Comme si retirer notre présence devait la rendre moins précieuse. Les gens et leur beauté modeste me manquent. Elle me manque leur douceur absente, leur démarche sans travail, leur vêtement sans sueur.

Pendant 20 mois, la pandémie nous a retiré la société. Voilà donc ce que je nous souhaite. A tout ce que le monde porte de m’as-tu-vu, je souhaite de guérir. Et grâce à toute la force cachée du monde, je nous souhaite de nous retrouver, mais sans compensation. De nous faire la bise de nouveau, mais sans outrage, sans surfaire. De nous regarder sans effets spéciaux. De voyager sans vengeance. De danser sans rattrapage. De reconstruire sans représailles. De refaire société sans devenir des revanchards. Sans essayer de rattraper ce qui aurait été perdu. En ne tombant pas dans le piège du sentiment d’injustice. Rien ne nous a été retiré. Tout est juste là, bien avant le meta, déjà enroulé. Le monde existe en dépliage.

Un homme est riche en proportion du nombre de choses qu'il peut arriver à laisser tranquilles.

Un homme est riche en proportion du nombre de choses qu'il peut arriver à laisser tranquilles.

À Ægina
En June 2013
C'était l’été
Ref 331.34a

Ce qui se trouve au cœur de l’ile d’Egine est un sentier. Lorsqu’on le suit sous le soleil, il fait passer par un chapelet de trente-trois églises, dont plusieurs sont effondrées. Juste devant le chemin se trouve le monastère consacré à Saint Nectaire. Je pense souvent à la petite cour du monastère, à son silence de vent, au peuple recueilli. Et ceux qui y sont venus y pensent aussi.

On y vient faire le tour des reliques de Saint Nectaire. Surtout de belles dames qui portent avec elles leurs histoires intérieures et toute la profondeur des âges immenses de l’humanité dont seuls les rides et les jupons froissés peuvent rendre compte. Elles approchent la pierre et écoutent la pierre, comme si Saint Nectaire allait leur parler. Tout est si pieux ! Nous nous assoupissons sur les tuiles brunes à quelques metres de là, entre le bruit des pas, buvant de l’eau.

La précarité n’est pas le sentiment d’être dans des sables mouvants. La “précarité” est l’état de vivre sur les rares cultures “obtenues par la prière”. Dons fragiles, périssables, voués à la mort, comme le sont tous les rêves de fleurs, ou chaque objet emporté par un réfugié. Je nous souhaite de savoir reconnaître cela. Nul besoin que les saints répondent ! Chaque exaucement est un pas vers l’ennui. Laissons suspendus tous les mystères, et tous les hélas. Des générations cachottières ont œuvré à sauver quelques non-dits où l’on puisse encore se nicher. C’est seul dans ce qu’il subsiste de ces terres inviolées que peut se déployer la précarité vivace qu’on appelle l’aventure. Ne l’épuise pas, de la dis pas toute en entier. Laisse leurs robes aux secrets car ils sont le refuge profond où les forcent recommencent. Ecoute la tombe qui ne te dira rien, ce sera déjà un temps repris aux pioches et aux ongles qui en convoitent les trésors.

C’est ce que je nous souhaite : je nous souhaite de poser tous ces batons techniques avec lesquels nous allons touiller, agacer la matière même de la paix. Je nous souhaite de nous souvenir (comme Thoreau assis inspectant la campagne) qu’un homme est riche en proportion du nombre de choses qu'il peut arriver à laisser tranquilles.

Hic Rhodus, hic salta !

Hic Rhodus, hic salta !

En May 2013
C'était le printemps
Ref

"Hic Rhodus, hic salta !" dit le vieux maître : c'est ici Rhodes, c'est ici que tu dois sauter. Rhodes, Paris, Rome, Munich, New York, Londres, Hong Kong, Tromsø... Tout est à faire dans l'année où tu t'apprêtes à habiter, et qui est 2014 : c'est ici que tu dois sauter.
(Ou, ce que dit Michel Maffesoli : "c'est ici que tu danses...")