Ce qui est vital dépasse ce qui est nécessaire d’une mesure égale à celle qui sépare les prisons des grandes histoires d’amour.
Il y a quelque chose de profondément luxueux dans l’espèce humaine. J’ai peur, maintenant que les appels aux renoncements se multiplient, qu’on oublie le geste inaugural de notre espèce, dans quelque grotte, il y a soixante mille ans, ni alimentaire, ni reproductif : l’ornement inutile d’une main peinte sur une paroi, pour prévenir “cela n’est pas nécessaire, mais cela m’est vital”.
Nous convoitons l’assurance et le contrat, mais c’est dans la confiance et la poignée de main que nous reconnaissons l’amitié. Nous voulons assouvir nos pulsions, mais c’est dans la tension du désir que nous nous sentons exister. Nous fouillons le monde en quête de certitudes, mais le sentiment que de grandes choses restent à vivre nous attend dans la foi et dans l’espoir.
Dans ce qui est nécessaire, nous trouvons un logement sur Terre, un toit de feuilles au-dessus de notre tête : le contrat, l’assouvissement, la certitude. Mais c’est dans ce qui ne l’est pas que nous nous sentons vraiment vivre : la confiance, le désir, le risque, la foi, l’espoir. Ce qui est vital dépasse ce qui est nécessaire d’une mesure égale à celle qui sépare les prisons des grandes histoires d’amour.
De là, il apparaît que nous devons sauver deux choses : cette Terre qui nous loge, avec ses limites et l’équilibre précaire qui permet à nos civilisations de prospérer ; mais aussi notre habitat, qui déborde du monde physique vers la possibilité de la poésie, de la couleur, de la prière, de la superstition, et même de l’activité créatrice du mensonge.
Ce ne sont pas uniquement les ressources planétaires que nous épuisons. Il y aussi quelque chose d’aride dans la manière dont nous ramenons les humains à des machines à vivre. Être là, avec le nécessaire, c’est survivre. Ce qui est vital, c’est la toujours lumineuse possibilité qu’il y ait plus que nécessaire.
Voilà ce que je nous souhaite. Parmi les choses qui deviendront ostentatoires, ou trop chères, ou auxquelles il faudra dire au-revoir, conserver subtilement celles qui, malgré leur apparence dérisoire ou frivole, nous donnent accès à ce qu’il y a de plus humain en nous : tout ce qui nous permet de vivre une vie plus grande que la vie.