Il existe, entre les conséquences de nos vies et la stature des astres, une disproportion humiliante et tranquille
Pendant que nous menons nos affaires, l’univers continue de s’étendre dans toutes les dimensions, comme une maille tirée par douze mains. Le destin profond de chaque atome est l’isolement et le silence thermique. Il serait fou et métaphorique de dire que la société humaine du XXIe siècle ressent déjà l’effet de cette dislocation. Que si l’espace grandit entre les classes sociales, c’est depuis le Big Bang. Que si les générations peinent à se parler, c’est à cause d’une dynamique cosmique. Que tout semble de plus en plus hors d’atteinte, parce que c’est écrit dans le ciel. Contrairement aux galaxies et aux constellations, nous possédons la politique, l’éthique et le soucis de l’autre nous permettant, si nous le voulons, de nous rapprocher.
Alors où sont ces grandes puissances d’intégration pour les pensées, les souvenirs, les rêves de l’homme ? Quelles forces peuvent nous aider à composer un monde commun ? Comment articuler tous nos mensonges, nos contradictions, nos mauvaises fois avec le fait que nous essayons juste de vivre une vie bonne ? On peut être à la fois entrepreneur, avoir peur, et ne pas vendre des produits inutiles. On peut être une femme ou un homme politique, convoiter le pouvoir, et rester honnête.
Les couturiers sont de grands intégrateurs. Voilà ce que je nous souhaite : recoudre comme si nos vies en dépendaient, la maille distendue de la société ; comme on reprise la dernière chaussette en hiver. Intégrer ce qui s’éparpille, réunir ce qui s’éloigne, susciter chez ceux qui cherchent à se distinguer le désir de se rejoindre. Réconcilier les contraires, dans la société comme en nous-mêmes. Pour cette année : opérer une synthèse dans la multitude que nous sommes, trouver l’unité dans le citoyen, le parent, l’employé, le militant, le déserteur, l’ambitieux, le rassembleur, le réticent. Quelque chose de valeur et de jeune.
Je ne suis pas inquiet du sort de la planète. Et quiconque a déjà levé les yeux vers l’infini, une nuit par un ciel étoilé, ne devrait pas s’inquiéter non plus. Il y a en nous le pressentiment de la discretion de notre vie. L’expérience de la Voie Lactée le ravive. Et quoique notre vie soit “tout ce que nous ayons”, il existe, entre ses conséquences et la stature des astres, une disproportion humiliante et tranquille. La Planète joue un autre jeu que nous. Rien de ce que nous ne pourrons jamais faire n’aura de portée au-delà d’une communauté minuscule d’êtres vivants, coincés dans la contrainte de notre présence. Et c’est justement pour ça que cette communauté devrait représenter ce qu’il y a de plus sacré : parce qu’elle témoigne, dans ce que nous lui faisons subir, du fait que nous existons vraiment.