Retrouver les vieux copains
Je rêve, allongé dans le lit de Casa San Pietro, qu’il se produit enfin un événement, juste en face, devant le café qui fait l’angle. Mais ce qui ralentit et densifie la foule pressée, ce n’est pas de la liesse, plutôt de la suspicion, et si ça se trouve de l’effroi.
Au travers de la grande baie vitrée, nous regardons un homme devenu fou tenir en otage les clients du café. Une intervention de la police est plus qu’hypothétique, l’homme peut s’en donner à coeur-joie. La foule regarde ce massacre comme un spectacle télévisuel, il y a un monde entre les otages et nous.
Mais, comme pour chaque événement, la répétition, ou l’habitude que les choses aient une fin ralentissent le spectacle petit à petit. La nuit tombe et les spectateurs sont décimés. Entre ceux qui sont rentrés chez eux et ceux qui se sont endormis à la longue, nous ne sommes plus que trois ou quatre. Moi aussi je cherche s’il reste quelque chose d’intéressant dans ce massacre. Je m’approche de la vitre, je regarde au fond, sous les tables, entre les cadavres. Sous une petite console, il y a une tête décapitée. C’est une tête de femme brune, je crois, et elle essaie de me dire quelque chose, ses lèvres bougent mais son regard se vide tendrement, comme si elle avait froid. Je comprends que cette femme vit encore et que la fumée bleue qui entoure sa tête est du gel. Le fou devait s’ennuyer lui aussi, et il s’est mit à décapiter des gens puis à congeler leur tête pour que la personne, en se réchauffant, meure lentement.
Je m’approche de la jolie tête couchée sur un duvet blanc. Son inclinaison et le coton fumeux qui l’entourent ne me sont pas inconnus, ils me rappellent vaguement la position que je dois avoir dans mon lit. Alors je me réveille violemment de mon rêve, convaincu que quelqu’un me
*
Dans la seconde partie de ce rêve, qui reprend juste après que je me sois rendormi, le mal que causait le tueur du café parvient à échapper aux fenêtres et se répand dans la ville. C’est une immense forme inhumaine composée de ballons blancs, avec deux bras, deux jambes, un tronc et une tête. La forme se déplace tantôt à quatre pattes en éclatant les vitres des immeubles, tantôt en roulant, les ballons avalés par le dessous et réapparaissant n’importe où dans la masse. Les habitants courent en hurlant, je vois dans leurs bras des objets précieux qu’ils essayent de sauver, et qui sont des objets personnels et sans valeur. Mais l’extinction est proche, et bientôt la ville entière sera un désert livré aux mains des militaires.
Je suis caché sous les planches d’un terrain vague. La supposition que tous les autres ne soient pas morts, mais aient été transformés en ballons ne me rassure pas. Soudain j’entends un bruit fantastique. J’ai choisi pile le terrain vague où le mal vient pour se rassembler. La forme agitée se dresse sur deux jambes, et un autre bruit se fait entendre, puis un autre, et je réalise que cette pauvre créature n’a pas désiré toute cette tuerie. Comme n’importe quel parisien, il se rendait à un rendez-vous avec un peu de retard, et ses amis immenses le rejoignent.
Je sais aussi que l’armée leur a tendu un piège et que ce rassemblement est le dernier. Si celui qui est composé de ballons n’est pas seul, il n’est peut-être pas non plus le plus horrible. J’entends l’armement des canons et le ciel se remplit d’ombre.
Casa San Pietro, 11 octobre 2007