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Astrid Ice Viktoria Karlsson

Astrid Ice Viktoria Karlsson

En September 2010
C'était l’automne
Ref 269.22a

Quelques minutes plus tard, rêve d’Ice. Alors qu’elle s’apprête à s’endormir dans une sorte de grenier où d’autres ont dû se réfugier, je vois que la fuite d’eau de mon plafond, qui irrigue déjà le lit, laisse maintenant passer du sable. Il est possible que malgré tous les échafaudages, cette partie de ma chambre s’effondre. Je cours vers le grenier pour en parler à Ice, qui s’étonne que je sois plus touché par le grand écroulement de la rue Rameau que par le fait que ce soit celle-ci l’une des dernières nuits qu’elle passe à Paris.
Paris, 20 janvier 2011

Les animaux sauvages

Les animaux sauvages

En September 2010
C'était l’automne
Ref 267.3a

C’est un jeune homme noir qui raconte cette histoire dans l’herbe la nuit, le dos sur un tronc d’arbre couché, épié par nos visages attentifs. Le lent raclement de sa guitare la ponctue.

Le chasseur qui en est sujet avait d’abord frappé le singe à la tête à dessein de le tuer. Mais ne le voyant pas céder à la mort, après plusieurs heures d’indécision, il se résigna à le traîner par le bras où qu’ils aillent et quel que soit le nombre des années que compteraient leur voyage, lui faisant payer le poids du fardeau par une fière indiférence, sans doute dans l’espoir magique de l’annuler. Le Noir raconta ensuite les paysages successifs qu’ils traversèrent, et le son de sa guitare les peuplait d’oiseaux nocturnes, de levers de soleils sur les rochers des lions, de fuites pieds nus sur des plaines de mousse et de pierres vives, et la fois où il parvint à rencontrer la mer il ne joua point de notes, car le chasseur n’avait jamais vu la mer et il la contempla.

Il arriva que le singe se réveilla. Sans comprendre ni qui il était, ni ce qui l’avait mené si loin de son arbre, il leva ses yeux sur le chasseur qui le tirait, et le chasseur ne parvint à lui rendre ni la clémence qu’il l’imagina supplier, ni le détachement qui suivit et dura, et qui convenait aussi peu à une proie qu’à son chasseur. Lorsqu’ils eurent repris des forces, les pieds du singe se mirent à marcher pour accompagner la marche du chasseur, et bientôt ils partagèrent le port de leur poids. Son bras fut délivré de la ceinture qui le contraignait et, bien que pas un mot ne fut échangé pendant que les soleils se levaient et se couchaient sur leur nuque, dans les derniers paysages que le Noir décrivit, où figurèrent d’abord des dunes rectifiées par le vent et les supplications des scorpions, apparurent peu à peu des protagonistes aux visages indéchiffrables, qui ignoraient l’ombre du chasseur et s’adressaient directement au singe, et qui chaque fois nous semblèrent moins grands (comme le racontait bien le Noir !) à mesure que le singe rendait au chasseur son autonomie et les joies intimes d’une autre chasse à venir.

Paris, le 23 juin 2011

Je te tiens, tu me tiens

Je te tiens, tu me tiens

En August 2010
C'était l’été
Ref 267.31a

Je connais quelqu’un qui n’est pas mon ami, mais qui aurait pu le devenir si les choses avaient tourné autrement, et peut-être le deviendra.
Nous partons faire du parachute sur sa propriété. Il possède un vaste domaine qui s’étend jusqu’à l’horizon, et continue ensuite sur quelques mètres de plaine. Un soir, comme Don Alexandro Glencoe pour répondre à quelqu’un qui lui demandait où étaient les commodités, il regarda loin devant lui et fit un grand geste de la main.
Les parachutes sont solidement attachés, mais je suis pris d’un doute. Ma mémoire n’est pas une vieille mémoire, mais elle rassemble des faits éparpillés sur plus de 28 ans, et, la nuit, elle me ramène aussi d’autres faits. Maintenant qu’il faut sauter, ce serait le bon moment pour me souvenir si oui ou non j’ai mélangé des câbles ou rogné les dents des rouages qui actionneront, ou pas, la grande voile du parachute de mon ami, à l’heure du destin : mais je n’y arrive pas.
Paris, le 22 octobre 2007

Soudain : la fixité

Soudain : la fixité

En August 2010
C'était l’été
Ref 266.11a

Piégés dans les vestiaires fumants, nous sortions un par un du sauna en sachant obscurément que notre sort avait déjà était scellé. A chacun la vigie monstrueuse distribuerait, selon un ordre innaccessible, un jeu de portraits photographiques au format Polaroid. Au départ les tirages seraient bleus, ce qui nous permettrait de nous reconnaitre. Lorsque les miens devinrent verts, je me relevai de mon désespoir et, passant sauf l’attention de la vigie, me dirigeai vers d’autres joueurs aux photos vertes. Après nos longues années de captivité, le vestiaire s’était allongé en allées carrelées et en cascades d’eaux brûlantes, que pavaient les corps des autres joueurs aux photographies bleues. Nous, nous n’étions plus que trois. Je ne sais combien d’années encore s’écoulèrent avant que nous ne déchiffrâmes que la figure de chacune de nos cartes représentait une valeur, et la couleur verte la capacité d’échange, ce qui plaçait dans nos mains une sorte de monnaie ; mais, avant que nous ne réalisions que nous étions riches et, noyés par la spéculation, commençâmes à nous retourner les uns contre les autres, l'un d'entre nous manquait déjà. Il avait abattu ses cartes dans l’humidité tout en criant, et l’oeil unique que notre docilité n’avait jamais forcé la vigie à lever préservait une flamme glorieuse ; nous vîmes qu’elle éprouva jusqu’aux plus précieux souvenirs de notre compagnon, je veux dire qu’il mourrut.
Paris, 11 juillet 2011

Le nom des choses vous rattrapera !

Le nom des choses vous rattrapera !

En August 2010
C'était l’été
Ref 265.11

Quelques-uns des invités de cette fête contre nature sont déjà arrivés : Blackstone, Miri, Anthony, d’autres gens que je ne connais pas, dont un monsieur très noir, Hannah et moi-même. Une certaine jeunesse étudiante dans cet appartement : nous mangeons à même la moquette, dans des assiettes en carton, une série de plats réchauffés et mauvais, et cela nous fait parler et nous lie. Je me rends compte le premier, je crois, que le jus d’orange a un goût, mais cela n’empêche personne de le descendre comme du vin.

Dans la petite chambre où sont mélangés les manteaux et les téléphones portables, Hannah se met à me parler. «Je suis crevette, mon chéri» dit-elle, avec une voix abandonnée. «Saleté d’animal sauvage qui ne baisserais jamais ta garde» pensé-je, «si tu te mets à me donner une chance, c’est qu’on nous a drogués». Doucement d’ailleurs, moi aussi, je vois les choses autrement. Dans la salle principale, Blackstone parvient à prendre la porte avant qu’on ne la referme avec des écrous. Sous le regard du personnage nègre, qui est sûrement le diable, tout le monde s’abandonne. De grands éclats de rire vaincus sont offerts à des étrangers absolus, je vois aussi une fille échevelé avec un tournevis tenter de percer le buste d’un homme. Rapidement, j’essaie de retrouver mon portable, mais il a été confisqué. Mes cartes de crédit, mon passeport; je suis retenu ici. Je me saisis du téléphone d’un autre et essaye de composer le numéro de Sylvain, à qui je donnerai l’adresse précise d’où je me trouve, et qui viendra me secourir; ces gestes je les accomplis avec un grand sourire distant, comme un automatisme de survie sans conviction. Avec ses gros doigts, Anthony, que tout cela semble amuser aussi, intercale dans le numéro que je tape sur le clavier d’autres numéros qui m’éloignent du salut. «Ne te rends-tu pas compte de ce qui se passe», lui dis-je, rigolant moi-même par ce que la drogue me fait imaginer de touffu, «le nom des choses vous rattrapera !». Mais, comme Hannah, tous, et Anthony qui m’abandonne, conspirent à simuler l’illusion de ma folie.

Paris, 3 novembre 2010

Tu es têtue, baleine

Tu es têtue, baleine

À Palermo
En August 2010
C'était l’été
Ref 264.33

Comme chaque nuit, rêve d’H. Cette nuit, le plus long que j’aie eu (avec l’espoir d’un solstice). Au terme de péripéties qui emportent plusieurs années d’université, des cours donnés par son père que je manque, des immeubles abandonnés que nous visitons avec Miriam et où nous retrouvons le passé d’H ainsi que des agriculteurs biologiques qui me vendent des pommes, et plusieurs longueurs de cheveux, nous aboutissons dans une calanque à sec à regarder refluer l’écume du port en mangeant des huitres. Comme avant, dans la veille, j’ouvre les huitres. H a les cheveux très courts, elle regarde l’horizon et refuse de me parler; elle ne me dira rien, et moi j’ouvre toutes les autres huitres.
Paris, 20 janvier 2011

Au point exact où la mer Tyrrhénienne rencontre la mer Ionienne

Au point exact où la mer Tyrrhénienne rencontre la mer Ionienne

À Messina
En August 2010
C'était l’été
Ref 263.28

Je dois organiser, ce soir, un dîner à la rue Rameau. Les préparatifs se poursuivent positivement jusqu’à ce que, chez mon poissonnier, on essaie de me vendre plus de pièces que j’ai d’invités, ce qui me laisse avec l’obligation morale de refuser, et la tâche pénible de froisser quelqu’un à qui je vais bientôt devoir de l’argent. Sylvain abandonne, las de me voir incapable de choisir et se retire. Moi qui suis en retard je finis par quitter l’étal dans une espèce de brouillard éthique — je découvrirai plus tard dans le rêve que j’ai empoché le poisson malgré tout, sans être capable de me souvenir si j’ai ou si je n’ai pas réglé son prix.

Le rendez-vous de mes invités a été donné dans l’une des deux extrémités d’un pont magnifique qui enjambe la rivière Hudson. Lorsque j’ai achevé de traverser totalement le pont, je n’ai plus de doute sur le fait qu’une tempête se lève, qui secouera le pont, les extrémités et peut-être toute la ville et mes plans. Les vagues se sont d’ailleurs levées et elles se renversent devant mes pieds, le niveau général de la mer est amené jusqu’à la pointe des pylônes; parmi l’abattement fantastique du fleuve je prends une photo; mes invités me font signe là bas qu’il serait dangereux de rester sur le pont.

A l’abris de l’autre côté du pont, tous les invités sont rassemblés et prêts à ce que je les mène à la rue Rameau. Ils ne savent pas où se trouve la rue Rameau car ce sont originalement des amis d’Hannah. Je songe qu’Hannah n’est pas là. Petit chef, je les rassure en leur montrant que ce n’est pas la première fois que je mène une troupe parmi la nature adverse, et qu’il suffit de me suivre. Mais très vite, les premières dissonances font jour. Telle s’inquiète pour son enfant resté à la maison, tel doit être rejoint par tel autre, et comment feront-ils ? Du mieux que je peux, je tiens les esprits rassemblés et communs, mais la dissension l’emporte, notre groupe s’échevèle marche après marche, mystérieusement Fritz ne répond plus à son nom, Matze disparaît au milieu d’une phrase, impossible de savoir si nous nous éliminons entre nous de convoitise pour ma cuisine ou si nous sommes éliminés. Un homme se présentera à nous que je déclarerai suspect et que je déferai au corps à corps presque sans y penser, dans l’unique but de montrer à mes invités que je veille sur eux. C’est uniquement lorsqu’il disparaît en poussière en laissant dans ses cendres un harmonica, que je me rends compte que des forces plus grandes actionnent la panique du fleuve et qu’elles nous pourchâsseront jusqu’à démembrer notre groupe. Je suis prêt à les affronter, car cela fait un an que j’entraine mon corps et mon esprit à chasser les animaux sauvages, et cependant mes invités, sans un merci, continuent de se chamailler.

Comment n’avais-je pas réalisé auparavant qu’ils ne sont pas là pour moi, ni pour mon dinner, et d’ailleurs qu’ils ne savent pas pourquoi ils sont rassemblés. «Je ne peux rien faire de nous, leur dis-je, essoufflé par l’affrontement, si déjà et par vous-mêmes vous n’avez pas envie d’être avec moi.»

Pierrevert 12 août 2011

Successivement sincère

Successivement sincère

En July 2010
C'était l’été
Ref 265.30

«Mon chéri» me dit-elle pour la première fois en rêve, et en me rappelant les lointaines veilles où elle ne le dit pas, «je t’ai plus aimé les quatre derniers jours que jamais auparavant». Allongé sur son aine, je songe que les choses changent, tu n’etais pas la même personne lors de chacune de ces rencontres, et moi peut-être maintenant je t’aime mieux, qui que tu soies.
Vence, le 30 avril 201

C'est l'horizon de Taormina qui te regarde, Lue

C'est l'horizon de Taormina qui te regarde, Lue

En July 2010
C'était l’été
Avec Lue
Ref 264.8

Et je réponds à Vincenzo : tu sais bien qu'on n'est jamais que le passeur des choses. Les choses arrivent par nous, peut-être est-ce suffisant ou nécessaire d'être un bon "conducteur".

Salina des îles éoliennes

Salina des îles éoliennes

À Salina
En July 2010
C'était l’été
Avec Lue
Ref 264.30

J’étais parti de Crotone, et, au bout de l’autoroute de la mort, j’attendais comme un enfant le ferry boat qui relie Villa San Giovani au port de Messine, avant de poursuivre par la côte. Entre Tore Faro et Villa San Giovani, que les géographes d’Ulysse appelaient monstrueusement Charybde et Scylla, je me suis baigné au front exact où se mitige la mer Ionniene à la mer Thyréneene. Au port de Messine étaient arrimés deux colosaux croiseurs. Malgré la disgrace du quadrillage infini des fenêtres et des loges, ils emplissaient autant l’imagination d’ailleurs, de voyages et de merveilles éparses que les vastes paysages des îles Eoliennes qu’ils cachaient, et que je rejoignis sans eux. A l’observatoire de Salina, sur les pentes volcaniques où pousse la Malvoisie, qui est le vin du diable, j’ai vu se coucher le soleil entre Filicudi et Alicudi. J’ai vu les vignes de Malfa et la plage coralienne de Rinella, ses grottes et ses barreaux. Je me souviens de la nuit sur la mer et du vent qui me soutenait. Je me souviens des routes à flanc de falaise qui suivirent. En bas l’eau qui brillait, l’air si chaud qu’en passant mon bras par-delà la décapotable, j’avais l’impression de m’enfoncer dans le sable en plein midi. Partout ailleurs c’étaient les collines, et sur chaque colline les maisons portaient une lanterne qui tissaient des guirlandes de maisons. Les lanternes des chapelles brillaient plus fort que les lanternes des maisons.
Mirco Naidon Cauda

Barcelona

Barcelona

En July 2010
C'était l’été
Ref 260.29a

Ai rêvé de Claire M. cette nuit, dans une bibliothèque flottante, par delà les rambardes la longue mer et le tui-tui fade des mouettes. Claire étudiait à un pupitre et moi je cherchais une porte de sortie qui m’amena à la regarder, d’abord sans qu’elle ne me voie, puis plus vulnérablement. A la sortie de la bibliothèque, on me demanda une dîme que je ne possédais pas, comme si j’avais emprunté un livre et qu’il était venu le temps de le payer, mais mes poches étaient vides ; comme souvent, la devise d’où j’arrive et qui est réclamée ne correspond pas avec ma monnaie. Je parvins finalement au prix d’une immense fatigue à ne rien rendre de ce que je n’avais pas pris. Réunis Claire et moi, au moment de passer la dernière porte, nous réalisâmes que l’espace entre le chambranle était fin de quelques centimètres seulement.
Le rêve se perpétue en escaliers à double révolutions, en rampes à colimaçon et en marches manquantes, qui sont les gardes multiples de la porte de sortie de l’immense lycée qui contient les escaliers, les rampes, les portes, les livres, les pupitres, les navires qui les organisent à leur tour, nous dans le vent et la mer.
Paris, 6 mars 2011