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Se sentir à sa place avant tout

Se sentir à sa place avant tout

En September 2009
C'était l’automne
Ref 236.14a

Sans aucun respect pour la nuit que je tente de terminer, les invités défilent dans ma chambre et m’empilent dessus leurs manteaux, leurs sacs, leurs poches et leurs téléphones portables, que quelqu’un leur a vicieusement indiqué de jeter sur le lit, lit dans lequel se trouve mon corps. L’idée de retrouver ces salauds parvient à me faire oublier mon projet de sommeil, par ailleurs fermement tenu en échec. J’ère l’oeil torve parmi les invités riants, à tenter de comprendre comment je peux bien être en train de rêver d’une fête organisée chez moi et à mon insu, précisément à l’heure qui m’est la plus sensible, celle où je suis censé rêver.
Tout le monde est ravi. Une grande table distribue des gâteaux au thé, du champagne, divers produits et du lait. H.S. s’affaire à découper, servir et parfumer de nombreuses viandes et des tartes d’Alsace. Le léger tangage émèche aussi les coupes de cheveux des filles. Des escaliers successifs entraînent la rumeur des rires de cales en cabines; impossible d’avoir une vue d’ensemble de mon bateau tant il est grand et bien navigué. Un homme avec une pochette couleur amère et des fumées de cigarette commente le paysage de la baie du Huston. «Ils chargeront le bateau sur un rail pour le mener jusqu’au centre de la ville» devine-t-il, «et les invités ivres descendront en oubliant leurs fondamentaux partout à bord. Puis, dit-il en me plaignant, lâchés sauvagement dans New York, totalement mouillés, ils créeront le chaos en oubliant de se retourner sur le nom du navire qui les y a bienveillamment conduits».
Gagné par son amertume, pressé par l’horizon où les gratte-ciels remplacent peu à peu les goémons, cabine après cabine, j’annonce que je vais prendre une douche. Comme la porte de la salle de bain ne ferme pas, je préfère prévenir. Finalement tranquille, prêt à faire le point, mi-nu, mi le pied dans la baignoire, un grand blond qui n’avait pas écouté l'effet d'annonce ouvre la porte. Bien sûr, la situation cocasse le fait rire. Je le toise de mes fesses. Il ne sait pas qu’il est chez moi, que le paysage où il marche m’appartient, et que si je le veux, je n’ai qu’à enregistrer son visage pour élaborer une haine nouvelle.
Rameau, le 5 décembre 2009

Les passionnés

Les passionnés

En September 2009
C'était l’automne
Ref 236.11a

Vue la cadence à laquelle le brasier entame la grande forêt devant nous, Hannah et moi, en habits d’été, dans cette Golf décapotable, doutons fortement de pouvoir passer. Dès les premières houles de chaleur, nous sommes repoussés par le feu comme par une vague vaniteuse et maîtresse. En nous résolvant à un prochain demi-tour, je vois que la traverse de la décapotable et une partie du Leica ont rougis du coup de chaud. Mais avant cela, heureusement, je vais pouvoir prendre autant de photos que je veux de l’incendie, qui possède maintenant tout la forêt, car nous devons d'abord ralentir, puis nous arrêter, au derrière de la file innombrable des autres automobiles qui, voulant pénétrer le brasier, se sont toutes résolu à un grand concert de lents demi-tours.
Pierrevert, jeudi 30 juillet 2009

Les témoins

Les témoins

En August 2009
C'était l’été
Ref 232.23

Dans la librairie du forum de Saint Gratien, Lue et moi fouillons les images et les cahiers à colorier. Un homme passe, qui me fait penser à mon père, qui pourrait bien être lui finalement, et qui me fait assez de signes pour que je craigne le pire.
J’essaie de le mener à l’écart pour lui parler, sans que Lue ne le voie. Plus loin sur la place, nous avons une explication d’homme à homme. Il est clair, lucide, un peu abîmé par le voyage et l’enchaînement des paysages. Il mentionne une adresse, ce qui m’étonne au plus haut point. Je ne parviens pas à m’en souvenir maintenant que j’écris ces lignes.
Aucune de ses explications, pas une de ses histoires ne vainc mon refus. Il reste un homme hors de tout espoir de vie commune. Une longue liste d’événements et de négociations inabouties suivirent. Nous nous acceptâmes finalement, ce que j’avais secrètement désiré depuis le début, mais que je ne parvenais pas à réaliser. L’artisane de cette acceptation mutuelle, de la paix d’avec moi même, la petite Lue aux yeux de qui tant de fois j’avais voulu cacher cette déchéance, nous regardait tout ce temps de derrière les prolixes figures des cahiers de coloriage.
Paris, le 28 juillet 2008