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La rivière de Langevin

La rivière de Langevin

En January 2010
C'était l’hiver
Ref 246.19

Je ne peux décemment pas rester torse nu dans le fond du car tout le voyage, ça va finir par se voir. Heureusement, la seule personne à qui cela aurait pu plaire, qui est aussi la seule personne qui ait rit de moi la dernière fois que je me suis mis torse nu, pour faire de la peinture, m’avait préparé un cadeau. Dans un gros sac, Lue m’offre de quoi me vêtir, un manteau qui me va très bien, comme me vont tous les manteaux qui transforment la personnalité, un manteau long avec des bouts de rideau sur les épaulettes, comme celui de Sergent Pepper, et une file de de boutons dorés.

Vienne, le 8 avril 2008

On l'avait appelé Uffing

On l'avait appelé Uffing

En January 2010
C'était l’hiver
Ref 245.34

Après une longue attente causée par le dysfonctionnement de la machine à produire les petits bouts de papier, on me rend finalement ma carte de crédit, et j’apprends que j’ai, par ailleurs, gagné par tirage au sort quelque chose de fantastique. On ne me remet finalement pas les sous que j’attendais, ceux qui m’auraient permis de faire vivre mes projets, non, j’ai gagné un animal étrange, une espèce de petit renard noir malingre et loyal, et qui est là.

Plusieurs années plus tard, je perdrai ce renard en lui disant «va voir Anna, va voir Anna», alors que je serai sur la Ramblas avec Anna. Mais le renard fidèle partira pour ne jamais revenir à la recherche de Hannah.

Manosque, 9 août 2010

La tombe fleurie de mon padre, et l'océan indien

La tombe fleurie de mon padre, et l'océan indien

En January 2010
C'était l’hiver
Ref 243.30

Nous parvenons, Hannah et moi, à cette petite ville qui est mon enfance, Saint Gratien, où dans le flan du Forum une allée mène au magasin de musique. Je dois me racheter des cordes pour ma nouvelle guitare, que j’aime parce qu’elle remplace assez maladroitement l’autre que j’ai donnée, et par cette imperfection me rappelle la justesse du don, qui rapproche et sépare.

«Posons notre vélib ici», dis-je à Hannah, en lui montrant une borne. «Je ne sais pas trop» se méfie-t-elle, «parce que peut-être que plus loin, ou plus tard sur le chemin...» puis elle entremêle de nombreuses rationalités qui se court-circuitent et se disputent au lieu de poser le vélo.

D’abord, le magasin n’existe plus. La lignée des rideaux baissés témoigne d’une pauvreté soudaine qui l’aurait emporté, ou, pire pensai-je, d’une pauvreté plus ancienne, qui aurait parvenu jusque tout récemment à nous faire croire qu’elle était vaincue. Ensuite je retrouve la bonne vitrine, qui était plus enfoncée dans l’allée que je ne m’en souvenais. Cependant toutes les guitares en ont disparu et les murs sont placardés de contre-plaqué, comme si la fermeture des lieux n’était que partie remise. Enfin, parvenu au comptoir, je réalise qu’une autre salle en contrebas abritait une luxuriance secrète de jeunes gens, venus écouter un concert important. Le vendeur finira par essayer de nous vendre la machine révolutionnaire avec laquelle il pouvait décomposer et recomposer les oeufs à la coque. « Ca marche tellement bien» dit-t-il en circonvolutionnant le lieu des yeux «que nous pouvons nous diversifier dans les objets étonnants ». Les choses étrangères, me semble-t-il, ont une vie propre et profonde et timide.

Hier, je rencontrai pour la première fois Tante Janine, la soeur de mon père, et les nombreux cousins, dont, en m'approchant doucement, je verrai la beauté. Dans quelques jours, je porterai sur mes épaules l'urne que j'ai déjà porté jusque cette ile de l'océan indien (et qui est son ile) mon père. Nous le poserons dans un petit cimetière fleuri d'où en silence on entend la marée.

Saint Gilles, samedi 9 janvier 2010

Visite chez Tante Janine

Visite chez Tante Janine

En December 2009
C'était l’hiver
Ref 245.24

Je regarde ta petite tête oiselle, qui regarde les choses. Tu as les cheveux courts, comme il est arrivé à d’autres d’avoir les cheveux courts, mais tu es blanche, avec le nez joli, et on dirait que tes yeux qui regardent les choses savent où ils sont, et qui ils sont ; personne ne te conduit magiquement, aucune ancienne beauté ne te traverse, tu n’es le passeur inconscient de nulle merveille que tu ignores ou bien refuses, et les feuilles de la jungle, comme les mains jointes de mes amis, savent que ce qu’ils reçoivent de toi n’appartient qu’à eux ; et en cela tu es nouvelle, je te regarde et lentement je deviens amoureux de qui que tu sois et de nos espoirs, jeunes à nouveau.
Piazza de renzi, 13 août 2010

La bienveillance des cuillers

La bienveillance des cuillers

En November 2009
C'était l’automne
Ref 239.34a

Nous nous sommes regroupés, parvenus de nombreux horizons et aux compétences mêlées. Nous pensions nous affronter, mais quelque chose nous rassemble silencieusement comme un ennemi commun. De nombreux changements violents d’équinoxes, un piege de sable dans le sol, des émotions qui ne sont pas les nôtres et que nous ressentons cependant achèvent de nous en porter la certitude. L’un de nous le dit pour tous : «there is a greater force at work». Cette force, ou cet esprit, finit par prendre la forme d’une conserve dorée où dort une sorte de nutella. Nous pensons que la chance a tourné, que ce dieu protéiforme, auquel nous avions prêté des intentions dévastatrices, n’est peut-être finalement que la somme du hasard de ses diverses manifestations, et que ceux d’entre nous qui sont morts par suffocation n’ont pas été victime d’une intention de tuer, mais d’une sorte de jet de dès qui, chaque fois, le renouvelle, tantôt amical, tantôt impavide, tantôt vengeur. Nous pourrions maintenant contenir le dieu innocent dans cette conserve. Je veux éprouver mon courage en plongeant l’une des cuillers dorées qui me parviennent de mes grands parents dans la pate noire, et consommer un bout du dieu, mais la cuiller refuse, elle se tord et se distord pour m’en empêcher à tout prix. Tout devient clair : nous renversons le dieu sur le sol pour le confondre, et la pate noire se fige en une sorte de grille affutée aux coudes angulaires et aux extrémitées aigües.
Nous comprenons alors deux choses. La première, qu’il y a véritablement une intelligence funèbre dans le dieu de la conserve, qui a tenté de pénétrer en nous par notre bouche, et l’étendue des pouvoirs que nous lui connaissons est si vaste que nous sommes tous condamnés à une mort proche. La seconde chose que nous comprenons, et qui parvient à équilibrer le désespoir, est que les cuillers en or sont pleines d’une sorte de distante bienveillance.
Paris, 16 juillet 2010

Feiliszschstraße. Chacun son chat.

Feiliszschstraße. Chacun son chat.

En November 2009
C'était l’automne
Ref 238.5a

Dans l’appartement qui encadre ce premier tableau, se préparent les décisions déterminantes des événements qui suivront. Je ne me souviens clairement que d’une masse de monde, peut-être attendant, peut-être dansant. Certainement des filles, des amitiés abandonnées ou oubliées, des souvenirs. Une demande inattendue de Stéphanie, dont je parviens à lier étroitement la réponse avec la direction de mon destin, m’emmènera dans un long voyage à destination inconnue. Tous les lieux que je n’ai pas visités sont les mêmes lieux, comme le Maroc qui m’attend, ou le Vietnam interchangeables.

Par la portière coulissante grande ouverte de l’hélicoptère, nous survolons le Vietnam. Une main fermement accrochée à une lanière de cuir, l’autre main sur le docile Leica, je regarde l’altération du paysage. Derrière, Stéphanie parle avec un impromptu. Leur ton est le ton des comédiens qui se connaissent, qui jouent ensemble, qui se sont embrassés, aimés, hais et soupçonnés sur scène, et qui ont oublié que c’était sur scène. Ils se disent tout comme de vieux amants. Il lui parle de moi, me décrit par la négative, dit que je ne suis pas laid. Dès lors je n’aurais plus d’attention que pour le ralentissement des pales du rotor, qui me permettrait de parler à ce type, et de lui faire entendre le fond de ma voix, où se trouve qui je suis.

Dans une petite rue à la tombée de la nuit, Stéphanie et moi, enfin débarrassés du cancrelat, jouons à être amoureux. L’innéchapable regard dans le regard qui dit le contenu d’un vieux fleuve, sous les lampadaires multicolores.
Une vaste porte cochère que nous poussons par hasard ferme une sorte de pensionnat si vieux que des archéologues le parcourent en espérant. Je serre Stéphanie dans mes bras, «regarde», lui dis-je, «je vais te montrer mon secret», et nous nous envolons doucement jusqu’en haut du grand escalier.

Nombreuses aventures dans ce lieu. Un trésor pour les archéologues, un mystère en mouvement entre les murs, un jeu des masques qui révèle que chaque personnage n’est pas ce qu’il essaie d’être. J’oublierai mon chapeau blanc en sortant, et je le retrouverai plus tard, avec l’idée d’une vaste bienveillance à mon égard, car il sera neuf et plié (étrangement plié, magiquement plié) et cependant il continuera de m’aller.

Il y a les lignes de bus internes : la nuit, le 21 et le 27 qui vont chez Alice, le jour, le 21 et le 27 qui vont chez Maffesoli, le 29 et le 20 qui allaient chez Lue, le 39 et le 95 d’Eranos ; et il y a les lignes qui amènent et qui envoient les voyageurs internationaux vers les aéroports. Ces bus sont les mêmes bus, mais dans les seconds, le bronzage, les anecdotes, les valises disent que c’est déjà ou encore le voyage, et Paris qui défile est un décor, transitif comme la Pampa ou la Molise. Dans le bus, de retour à Paris, accroché par le devant à mon sac à dos, un homme me parle par dessus l’épaule des divers faits de la ville de la déstitution d'untel, du plan de conquête d'un autre, comme si, pour lui, je n’avais jamais quitté ce bus, sans respect pour mon voyage ou sans espoir que j’aie voyagé. De même que ceux de mon voyage, les plis de ce chapeau qui me va si bien sont comme si ils n’étaient jamais arrivés.

Paris, le 3 août 2008

La confusion des mots mène à la confusion des choses

La confusion des mots mène à la confusion des choses

À Hamburg
En October 2009
C'était l’automne
Ref 236.23a

Au croisement de l’avenue Gabriel Peri et de la longue avenue Terré, dans le Saint Gratien de mon enfance, le premier taxi qui vient m’amènera à Enghien-les-bains, en empruntant d’ailleurs l’avenue Terré en contre-sens.
La voiture est une longue Mercedes foncée décapotable, avec un par-brise ancien, très bas, ondulé, pratiquement dépoli, inutile, ornemental. Le chauffeur est un homme blond sûr de lui, qui m’entreprend rapidement. Parvenu devant la gare où j’ai mon rendez-vous, il connaît mon métier, mon affinité avec l’Italie, le parcours de mes vacances. Il ne me demande pas le prix de la course, ce qui m’embête. En voyant affiché 5,50, je sors mes billets têtus, dont il tire lui-même un de 5 et me rends une énigmatique pièce de 10 centimes, décidé à changer la devise de notre commerce, et me regarde la fourrer dans ma poche. « Ce n’est pas l’argent qui, compte» dis-je en lui montrant quelques euros différents, «ce sont les pièces et leur provenance». La presque sympathie de ma remarque, au moment où j’aurais dû quitter le véhicule, l’enhardit au point qu’il me demande mon adresse et mon numéro de téléphone. D’abord je n’ai pas de papier. Il me trouve un petit dictionnaire, un minuscule dictionnaire dont il passe la tranche d’une feuille au briquet avant de me la tendre avec un stylo, afin de pouvoir la retrouver plus tard et m’appeler. Ce plus tard finit de m’inquiéter, et la surface de papier est de toute manière trop petite. Ensuite, nous trouvons une feuille vierge. Comme souvent, je me sens suspecté de ne pas vouloir donner de portable. Mais que voulez-vous, si je n’en ai pas. Enfin je me résigne à lui laisser mon nom, mais les lettres que je voudrais écrire sortent modifiées du stylo, doublées ou triplées, corrompues, codifiées. Il verra certainement mes réticences, et de toute façon mon rendez-vous m’attend. Et puis je ne lui dois rien. Au mieux je reconnais que sa voiture m’intéressait. Pendant que je rassemble mon bric et mon broc déballés, le chauffeur m’embrasse tendrement dans le cou. « je crois que vous devriez cesser tout de suite» répété-je par deux fois. «Quoi ?» se surprend le chauffeur, «n’allez pas me dire que vous êtes docteur ?»

Manosque, le 10 août 2008

Hamburg

Hamburg

À Hamburg
En October 2009
C'était l’automne
Ref 236.17a

Surtout depuis la généralisation du grondement dans le ciel, j’aimerais beaucoup ne pas rater mon bus, le 15, qui attend tous les jours dans le parking, et qui quitte ce trou. Avec la réduction de la fréquence de départ, c’est devenu ici comme au Sénégal, et beaucoup de monde souhaite prendre, chaque jour, l’unique moyen de rejoindre sa maison. En m’approchant du conducteur, qui a un gentil air de baba, je me rends compte que le bus est plus petit que je ne l'avais vu. Lorsqu’il s’excuse en italien de ne pas pouvoir me prendre dans sa wagonnette, je me rends compte de la puissance de l’auto-persuasion, et de mon désir si fort de me casser d’ici que je confonds un bus avec une wagonnette.

Je n’arrive pas à prendre comme un chance ce qui pourtant pourrait sauver ma journée : dans le terrain vague au loin, Anthony et toute sa bande se font un foot. Enfin toute sa bande, mais pas moi. Le simple fait de m’approcher lentement d’eux sous-entend mon exclusion initiale. Blackstone le sent et tente de me faire rire. Anthony, qui voit la rouille aux engrenages des coeurs, tire mes pieds jusque sur l’herbe périphérique, cale un coussin sous mes mains, qui soutiennent ma tête, rapproche une petite table de chevet, adoucit l’abat-jour rouge, et fait revivre la couverture en disant « pour te masser, je vais avoir besoin de poser mes fesses quelque part».

Je ne me sens pas moins exclu maintenant renvoyé dans le paysage de mon lit alors que tout le monde s’amuse sans moi, et (dans ma veille) tu aurais pu te le garder, le bruit de foret qui me parvient de chez les voisins.

Paris, le 7 octobre 2008

Recherche de couleur #1

Recherche de couleur #1

À Roma
En October 2009
C'était l’automne
Ref 234.29

Il y a encore quelque chose d’amusant à jeter de l’eau froide sur les murs de mon couloir, et sur le carrelage blanc : la fumée, le bruit de la vapeur qui se condense par endroits, l’alternance de flaques et de lieux secs révèlent l’avancée secrète, par le dessous et par les flancs, de l’incendie qui condamne mon immeuble, rue Rameau.

Beaucoup de mes amis sont venus voir ça. Le devenir de cet appartement ne nous indiffère pas. Par naturel optimiste, par aveuglement, nous avons tous une grande confiance que l’appartement soit épargné, ce qui nous permet de nous asseoir. De l’autre côté de la fenêtre, d’autres fumées indiquent d’autres drames, et la multitude des incendies dilue encore plus la fatalité qui s’était abattue sur nous. Nous en alimentons notre espoir. Avant que les pompiers n’arrivent, je me dis même, en voyant le feu indifférent qui s’échappe de la porte d’en face, que, un peu plus tard dans le rêve, nous pourrions récupérer cet appartement et nous agrandir. La brutalité de la lumière qui s’encadre dans le chambranle de la voisine, les effusions projetées qui changent de formes en roulant jusqu’à nos pieds, qui prennent des visages barbus et des visages glabres, ce spectacle va dans le Leica. Comme à la neige, cependant, je ne suis pas sûr de mon «couple» ; c’est la première fois que je prends du feu en photo.

Les conclusions des pompiers sont plutôt encourageantes. «Il y a peu de chances, dit l’un avec ambiguïté, que vous ne puissiez habiter ici avant quelques mois». Mais bientôt nous devons nous résigner à choisir, parmi tous les objets de la maison, ceux qui seront sauvés, et ceux que nous ne retrouverons plus, car il est devenu certain que tout brûlera. C’est un choix simple, où je trouve même une certaine joie du changement, à part pour les livres, qu’il est impossible de favoriser et de dénigrer. «Je ne suis plus un mendiant, j’irai chez Lue, ou ils referont l’appartement» pensé-je, malgré la tristesse opaque qui me remplit, pour rejoindre quelque lieu meilleur, de devoir en laisser un.

Rome, via dei sabelli, le 25 octobre 2005