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Safi. Une maison blanche avec des volets bleus turquoises

Safi. Une maison blanche avec des volets bleus turquoises

À Safi
En August 2008
C'était l’été
Ref 208.10a

L’indication qu’elle m’a donné pour trouver sa maison (une maison blanche avec des volets turquoises) m’a mené loin, très loin des sentiers battus. Safi est une ville sans tourisme réel. Je parle trois langues, peut-être que j’en comprends cinq ; je suis parvenu à des hauteurs en la cherchant où personne ne pût plus rien me dire. A l’est de la Médina, Dans la colline aux potiers, il y a une maison blanche avec des volets turquoises. Au pied d'un four et d'un mur incrusté de brisures aussi, il y a une maison blanche avec des volets turquoises, habitée par un borgne. D'autres maisons blanches ont des volets turquoises, certaines sont proches d'un âne. Assis ici, seul au Café de l'Indépendance, je pense que je n'ai jamais cessé de chercher une maison blanche avec des volets turquoises, sous divers artifices de forme et de couleur.

Jamaâ El Fna

Jamaâ El Fna

En August 2008
C'était l’été
Ref 204.6

Grande partie de football qui oppose de vieux amis à d’autres vieux amis. Mais le terrain est petit, et une foule veut jouer. Personne ne se dévoue pour décerner ou refuser des droits, je décide donc que nous trancherons le terrain en deux, et que les match simultanés opposerons deux équipes de deux, avec élimination des perdants.
Un grand noir que je ne connais pas passe amicalement son bras autour de mon épaule. Grande satisfaction, je suis toujours ouvert aux gestes d’amitié.

Paris, le 26 septembre 2008

Le fils d'Olivier Bluker, votre hôte

Le fils d'Olivier Bluker, votre hôte

À Mogador
En July 2008
C'était l’été
Ref 207.17a

Depuis que nous ne nous voyons plus, Jean-Paul Bluker, qui s'appelle aussi Olivier, continue de me visiter en conte, en rêve et dans la répétition. Je m’étonne toujours de ce que, lors de ces visites annuelles, il soit si propre, si beau. La nuit du 5 avril 2009, dans mon sommeil de la Marktrasse, je porte mon manteau gris en damier. Tout comme moi, mon père n’avait qu’entreouvert son col officier ; mais quel oeil vif ! Sans qu’il ne m’en parle directement, je devine une longue convalescence qui touche à sa fin, des premiers pas hors d’un hôpital, un homme qui a pris la mesure du temps, a changé ou s’est laissé changer. « Mais, me dit-il, ma fertilité est abîmée ».
Nous cherchons un coin pour parler, et je lui propose ce jardin que je connais bien, derrière un portique. « Non, répond-il, allons plutôt là» et, en tirant de sa poche une clef dorée dont je m’étonne qu’elle lui ait été confiée, il ouvre la double herse d’un jardin privé, profond et calme. Sous les ombres dont les dessins sont encore très nets et insensés, il me demande pourquoi je ne lui parle pas, pourquoi cette distance. Parce qu’il a bien compris que je me posais la même question, ou parce qu’il est le protagoniste mal rapiécé du rêve d’un seul homme, je devine que nous sommes très complices, malgré les années, la couleur de la peau ou la folie qui me sépare de lui. « Tu n’étais pas là, papa, lorsque maman souffrait à cause de toi », répondis-je. Mais ni lui ni moi ne sommes dupes de cette évidence, et nous nous sourions en songeant qu’une véritable distance, plus secrète et plus intime, nous relie.
Jean-Paul Bluker et Olivier sont morts le 10 juin 2009 à l'âge de 67 ans, de mort naturelle, dans le village d'Ondreville, dans un champ.

Et même les lignes droites sont secrètement courbes

Et même les lignes droites sont secrètement courbes

En July 2008
C'était l’été
Ref 206.19

Hannah a conduit tout le long, de Marrakesh à Ouarzazate, à Merzuga, à Zagora, à Ouarzazate, à Marrakesh. Elle conduit encore cette nuit, sous la pluie, une voiture moins chaude, moins désertique, mais plus intime. Je ne la vois pas entièrement, mais je sais que son regard, qui est plus vieux qu’elle, voit par delà la route. Nous rentrons tous les deux, mais je ne sais pas où, car nous n’avons rien qui nous appartienne en commun.Tu sais ce que nous pourrions faire, dis-je ? Nous pourrions nous arrêter dans cette maison de campagne qui est toute proche, la prochaine à droite, ou celle qui suivra.
Hannah ne répond pas, mais je sens une tristesse à rentrer dans un lieu inconnu, plutôt que chez elle. Résignée, elle tourne à la prochaine à droite, et s’avance lentement en suivant mes indications. Les lumières communales s’arrêtent au second virage, très vite je dois faire confiance à mes souvenirs pour remplacer la route. En arrivant devant le sentier sombre qui mène à la maison, je préfère nous garer, et continuer à pied.Hannah pose lentement la voiture sur le bord d’une barrière et éteint le contact. Nous entendons le bruit des goûtes de pluie sur le capot et le par-brise, qui est comme le bruit des goûtes de pluie que j’ai entendu dans le désert. Mais même moteur éteint, la voiture continue d’avancer lentement, glissant dans la boue. Elle s’enfonce d’abord dans un petit fossé, puis se retourne complètement, jusqu’à ce que nous ayons la tête à tout à fait à l’envers. Je ne me sens pas malin, et Hannah va bien.
Tu sais ce que nous devrions faire, dis-je, avec tous les objets qui pendent, nous devrions laisser la voiture ici et rejoindre la maison, et rester dans cette maison tout le temps que nous voulons. Personne ne sait que nous sommes ici, et personne ne nous trouvera.
Paris, le 12 octobre 2008.

Tous les petits destins

Tous les petits destins

En July 2008
C'était l’été
Ref 205.35

Rien aujourd’hui plus qu’hier n’explique mon rêve où, sur un grand matelas roulant, nous traversâmes la ville. J’avais libéré spécialement cette soirée à mon amour, mon amour inconditionnel, vers qui le matelas me menait. Quelque chose cependant me grattait le crâne, au sujet de cet amour inconditionnel, et j’attendais impatiemment la tombée de la nuit pour que le doute fît place aux corps certains.
Un inconnu pris le matelas en route. Avec lui, une jeune fille que je ne vis pas bien. Nous dûmes nous serrer. Je jouai le jeu de la jeune fille qui, me touchant presque, prétexta l’encombrement, puis coucha sa joue sur mon épaule, enfin m’offrit sa main et je sentis l’os de sa hanche. Jusque là, j’avais avec succès évité de voir son visage. Je me rassurai qu’elle pût encore être assez laide, aux couleurs étranges, longue et laiteuse. En descendant du matelas, je tenais entre mes mains une rousse distante aux yeux très verts, délivrée par de longues jambes blanches et laiteuses.
- Merci d’avoir joué le jeu, me dit-elle, en se dégageant.
- Et toi tu es la fille kidman, répondis-je pour la faire rougir.
- C’était très bien, répondit elle, comme si elle ne m’avait pas entendu.
- Attend, attend, lui dis-je, en pensant à l’heure qu’il était, je peux aussi te montrer d’autres choses...
Rêvé à la Marktstraße, le 25 mai 2009

Te voilà, après tant d'années

Te voilà, après tant d'années

En July 2008
C'était l’été
Ref 204.13

Une araignée est venue par la latérale poser ses quatre pattes dans mes quatre doigts allongés. Nous nous sommes repliés. Je ressens si fort cette harmonie parfaite des formes et des destins contre nature !
Marrakech, le 22 août 2008

La confiance règne

La confiance règne

En June 2008
C'était l’été
Ref 202.2

Long rêve autour d’une Royce puissante, quoique beige et marron, de type break, dont je suis plus ou moins le gardien. J’essaie même de la conduire. Une autre voiture vient à ma rencontre, à ma droite on me rassure que sa "lampe" lui permettra de m’éviter. Les voitures ont toujours des systèmes de pilotage automatique dans mes rêves.
Il se produit que la voiture s’en va. Elle était aussi un grand bateau miroitant avec des voiles triangulaires : c’était un objet de fierté et d’anciennes prophéties qui décide finalement, au terme de silencieuses péripéties, de revenir. Nous l’acclamons. Dans une maison à l’américaine, des enfants ne viennent pas la voir, ils pensent que c’est une "Martini voiture". Quels idiots ; s’ils savaient !
Paris, le 26 juillet 2008

Traumwetter

Traumwetter

En June 2008
C'était l’été
Ref 202.18

Une longue place de sable, où perce un petit lac, planté d’une île convoitée au milieu. Transats, jeux de ballons rayés, parasols, vendeurs de glace, reflets de crème solaire sur les omoplates saillantes, l’obscénité de l’âge en bikini.
Assis au comptoir du bar, sur un tabouret de bois, sous un toit de feuilles, la paille plantée dans une boisson stratifiée, j’apprends que jamais ni moi, ni mes amis n’atteindrons cette île centripète, qui est la seule raison à la fois de ma venue ici, des parkings à camping-cars, des hôtels à balcons et de toute l’économie de cette plage. En quittant mon cocktail, dépité, je me dis que, quitte à tout perdre, autant tout perdre, et je laisse tomber le Leica dans le sable, dédouané de toute suspicion d’inconscience par la parfaite connaissance des risques que le sable fait courir à ses rouages. Cependant, au loin, l’île me semble fate et moribonde, sans doute que le seul privilège de ceux qui y parviendront sera d’être regardé et commentés par le grand cercle des autres. Quelle perte remplaçable !
Je fais donc demi-tour pour ramasser le Leica, je me souviens parfaitement d’où je l’avais fait tomber : près d’un losange de sable rouge. Mais je ne le trouve pas, je ne le trouve pas. Inexplicables, les larmes me remplissent, et comme un enfant qui a perdu sa mère dans une place aveugle de monde, persuadé qu’elle existe cependant, précise et unique parmi le nombre infini des grains de sable, je me raccroche à l’espoir qu’un pas inattentif ait enfiché l'appareil dans le sol, et qu’il me suffira de le tirer par la coriace lanière de cuir.
Premières larmes depuis 3 ans, avec Lue au Lamfé.
Rue Saint marc, 11 octobre 2008