Une longue place de sable, où perce un petit lac, planté d’une île convoitée au milieu. Transats, jeux de ballons rayés, parasols, vendeurs de glace, reflets de crème solaire sur les omoplates saillantes, l’obscénité de l’âge en bikini.
Assis au comptoir du bar, sur un tabouret de bois, sous un toit de feuilles, la paille plantée dans une boisson stratifiée, j’apprends que jamais ni moi, ni mes amis n’atteindrons cette île centripète, qui est la seule raison à la fois de ma venue ici, des parkings à camping-cars, des hôtels à balcons et de toute l’économie de cette plage. En quittant mon cocktail, dépité, je me dis que, quitte à tout perdre, autant tout perdre, et je laisse tomber le Leica dans le sable, dédouané de toute suspicion d’inconscience par la parfaite connaissance des risques que le sable fait courir à ses rouages. Cependant, au loin, l’île me semble fate et moribonde, sans doute que le seul privilège de ceux qui y parviendront sera d’être regardé et commentés par le grand cercle des autres. Quelle perte remplaçable !
Je fais donc demi-tour pour ramasser le Leica, je me souviens parfaitement d’où je l’avais fait tomber : près d’un losange de sable rouge. Mais je ne le trouve pas, je ne le trouve pas. Inexplicables, les larmes me remplissent, et comme un enfant qui a perdu sa mère dans une place aveugle de monde, persuadé qu’elle existe cependant, précise et unique parmi le nombre infini des grains de sable, je me raccroche à l’espoir qu’un pas inattentif ait enfiché l'appareil dans le sol, et qu’il me suffira de le tirer par la coriace lanière de cuir.
Premières larmes depuis 3 ans, avec Lue au Lamfé.
Rue Saint marc, 11 octobre 2008