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mvd bd Beaumarchais (par Lue)

mvd bd Beaumarchais (par Lue)

À Paris
En May 2004
C'était le printemps
Ref 90.16

Le narrateur ou le ProtagonisteJe regarde, sans attention inédite, la multitude des visages qui peuple en perspective la longueur d’un métro ; l’habitude. Mon regard ne dure qu’un infime moment mais, aujourd’hui, ce moment se déploie en moi comme un arbre. Tout d’abord la configuration des passagers m’apparaît suspecte, quelque chose en elle de vagabond et de précis me dérange. L’idée me vient que les choses qui s’agencent devant moi ont un sens caché ou un secret ; les passagers ne sont pas ici de leur plein gré mais plutôt dénoncent autre chose de séculaire, à l’œuvre et sourd, convergeant maintenant sous mon œil ; j’assiste à une combinaison dont ces hommes sont les éléments irresponsables. Sans raison, j’ai le sentiment que je peux trouver un sens dans l’inextricable toile des motifs personnels qui aboutirent à cet instant, j’ai le sentiment que le secret des foules et de leurs trajets est un texte écrit quelque part et qu’il est possible de le lire, de le posséder.Dans un second temps, je me rappelle avoir déjà eu la sensation diffuse que les choses ne sont pas ce qu’elles ont l’air d’être (l’impression très commune qu’on ne nous montre pas tout, qu’il y a autre chose), sans être jamais parvenu à le formuler convenablement. Comme ce souvenir n’a pas d’odeur, j’en déduis qu’il est l’unique mémoire de nombreux moments mélangés. Je me souviens qu’à chacun de ces moments je fis des efforts pour ne pas parler de puissance supérieure, de mécanisme et de dieux, d’arrières-mondes et de cavernes et j’ai de la peine pour moi-même. Ces expressions que j’essayais d’éviter se collent alors à ma tête et, l’esprit plein de mots qui ne m’appartiennent pas, je réalise que l’idée du sens secret des choses, que j’avais eue tant de fois, n’est pas de moi. Elle est de quelqu’un d’autre, peut-être un ami ou un monstre mythique, multiple et sans visage (qu’un ami aurait été une fois), quelqu’un avec qui j’aurais conversé tout au long de ma vie.Enfin, l’image du métro me revenant, je revois quelqu’un qui me regarde sans attention. Il réveille sur mon corps le frôlement des fantômes, ces hommes qui auparavant pensèrent comme moi, un autre jour, ailleurs et qui le firent peut-être à l’instant même, en face de moi, en regardant comme cet homme, sans attention, la longue perspective du métro qui s’étale derrière moi. Leur nombre que je ne compte pas fait sombrer mon idée dans le domaine public et sa vulgarité cesse de me fasciner pour commencer de me faire peur.L’idée provenait des incessants chuchotements du monde, elle était dans ma culture avant que je ne l’ai, je ne peux pas la griffer, elle ne peut pas porter ma marque, elle parle de toi autant que de moi. Je la remplace par une haine incommensurable pour mon propre reflet dans le miroir de ce type, qui n’a rien fait d’autre que son bout de chemin en métro mais qui m’a destitué de la spécialité d’une idée chère et me fit douter de l’unicité de ma vie tout entière ; son regard fait de moi un motif quelconque au milieu d’une toile inextricable ; mes motifs et ma présence dans le métro deviennent obscures. Persuadé de son innocence (cet homme ne m’a peut-être jamais vu), je deviens incapable de le haïr, je me mets en colère tout seul. Pourtant je ne cesse de le plonger dans mon mépris, je lève mon sourcil droit, je mime son absence. L’inconnu du métro devient la métaphore du mal que je fais à mes amis en menant ma vie comme je l’entends, du mal que je leur fais en étant innocent du mal que je leur fais et du vertige que me font éprouver ces situations emmêlées, sans responsable et sans coupable.