Je crois qu’il y a une leçon dans la photographie qui peut être étendue à la vie toute entière.
Faire de la photographie (avec un appareil, avec son téléphone), c’est reconnaître qu’à n’importe quel instant, quelque part autour de vous, la beauté est en train de se produire. Et vous, vous avez la possibilité de bénéficier de cette beauté, et d’en faire une image.
Certes, la beauté n’est pas tout le temps sous nos yeux. Peut-être que, depuis l’endroit exact où vous vous trouvez, on ne peut pas la voir. Mais en marchant un peu, en levant la tête, en s’enfonçant dans une rue, en attendant qu’une lumière tombe sur un visage, on peut la voir. C’est une photographie. Vous la prenez.
À ce moment-là, vous apprenez deux choses. Premièrement, que la beauté ou la monotonie du monde dépend de l’endroit à partir duquel vous vous trouvez. Vous êtes « situés ». Toute généralisation sur l’état du monde s’effondre. Autre chose est possible.
De sorte que, deuxièmement, votre situation n’est pas une fatalité. Vous avez une marge de manœuvre. Une harmonie des formes, un ordre des choses est toujours à portée d’expérience, si on les cherche — même dans le désastre, dans la pagaille, dans les décombres des guerres.
Cela est vrai pour toute la vie : le « cadre » au travers duquel on l’éprouve la rend belle ou monotone. Mais il existe des manières d’en sortir : en lisant, en parlant, en pensant, en voyageant, ou, au contraire, en vous arrêtant longuement sur votre situation pour agir sur ce qui dépend de vous. On peut se mettre en marche.
Par la photographie, vous faites l’expérience de votre place dans l’élaboration, la mise en ordre et la mise en beauté du monde. Chaque fois qu’une intelligence artificielle corrige votre photo, efface un nuage, filtre un visage, swap un ami, elle vous en prive.