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Stéphane Hugon va parler du noir à  Cahors

Stéphane Hugon va parler du noir à Cahors

En January 2007
C'était l’hiver
Ref 167.34a

Je suis dans un avion (ce qui n’est pas une si bonne nouvelle) un avion très vaste, comme celui que Sylvain et moi avions pris pour aller à Minneapolis. Ces derniers temps, il m’arrive souvent, au cours d’un rêve, de me souvenir d’un autre rêve. Cet avion énorme m’en rappelle donc un autre, qui avait des pontons, des hélices internes, un quai circulaire qui l’entourait et des petites tables rondes pour dîner en amoureux, à l’extérieur. A chaque fois que je me souviens d’un rêve au cours d’un rêve, à moins d’avoir noté le premier rêve, il ne m’est plus jamais possible de savoir si j’avais effectivement fait ce rêve dans le passé et qu’au cours de la nuit je m’en suis souvenu, ou bien si j’ai rêvé que je me souvenais et que j’ai inventé un autre rêve dans le rêve.Dans cet avion, les choses ne vont pas trop bien. Des hommes entrent dans notre pièce (ma place est dans une petite boîte allongée, à côté d’autres boîtes allongées décorées en fonction de la classe et du prix du billet). Ils touchent à plusieurs choses, à des tuyaux qui font de la vapeur, à des câbles, aux murs. Je me rends compte qu’au travers des hublots, en bas, tout en bas, on voit la mer, et je me dis que c’est le fameux moment de l’avion où il vaut mieux dormir. Je m’allonge dans ma boîte et je ferme les yeux, mais je sens que je commence à tomber (ce sentiment ne m’est pas inconnu). Pris de panique, je me réveille dans mon rêve et je change de pièce. L’avion est presque nu, je sens l’air passer par les cases d’un damier au sol, la cloison qui nous sépare de l’extérieur est si fine, on dirait qu’elle va se chiffonner. D’autres personnes se rendent compte que quelque chose ne va pas. Pour traverser la pièce il faut même passer entre des espaces, au sol, qui donnent directement sur le rien. Je me cramponne à quelque chose en répétant compulsivement une phrase que le rêve gardera secrète, mais cela est inutile. L’avion ralentit, tout est perdu.Je le vois bien, d’où je suis maintenant, bien en dessous de la scène, le gros avion avec des réacteurs immenses qui cessent de tourner, immobile dans le ciel.Rome, 4 juin 2007 

Rendez-vous d'affaire au café du Trocadéro

Rendez-vous d'affaire au café du Trocadéro

À Paris
En December 2006
C'était l’hiver
Avec Eranos
Ref 167.14a

Je suis un vieil homme, petit et un peu ridicule, assez laid. J’amène ma mère, qui est si faible qu’un vieil homme doit la déplacer, à la Consultation. Mais ce lieu auquel j’imagine elle appartient (où elle doit aller par ailleurs sans moi), n’est pas digne. Nous marchons dans la pénombre de pièces circulaires, parmi les lépreux, les pauvres et des espagnols sans dents. C’est une cour des miracles. Jamais je n’aurais dû la rendre à cet univers.Devant la porte de la Consultation, je me rends compte que j’ai oublié le livre. Pour entrer, il faut avoir un certain livre et de la farine. Je cours pour prendre le livre, je l’ai, je repasse par les pièces circulaires, et quand j’arrive, je vois des hommes en blouse du personnel médical entourer ma mère et la maintenir comme si elle était folle. Un instant je ne m’en fais pas, parce que l’image de ces nombreux hommes et l’image de ma mère, sont si différentes, que je ne crois pas qu’elles puissent être liées. Mais la chose est bien en train de se produire. Alors je me jette sur eux et je les écarte. Je coince la tête de l’un d’eux sous ma jambe, pour faire un otage. Je dis à leur chef “laissez-nous passer, où celui-ci mourra”. La porte de la Consultation est à quelques mètres derrière eux. Le chef dit “non”, puis il s’adresse à l’otage. Je jette l’otage sur eux pour gagner du temps, j’en frappe deux et je profite de la panique pour attraper un ballon de football en plastique et le transformer en farine en le faisant rebondir sur le sol. Je coince la farine sous mon bras.En passant la porte qui mène à la Consultation, je réalise que je n’ai pas pris le bon livre tout à l’heure, j’ai Le Livre de Sable à la place. Il faudra donc que je force aussi l’entrée de la sale d’attente. Ce que je fais. L’infirmière, qui me voit entrer, met par habitude le nom de ma mère sur la liste. Une fois dans la sale d’attente, je vais directement dans la sale de la Consultation. Mais là, le rêve change. Le vieil homme n’est plus moi, parce que mon regard reste dans la sale d’attente. Le vieil homme et sa vieille mère entrent dans la salle de Consultation, je peux voir une forte lumière sortir de sous la porte, et je suppose qu’après toutes ces péripéties, une bonne chose est en train de leur arriver.Lorsqu’elle voit que c’est le tour de la mère, l’infirmière entre dans la sale d’attente, et crit son nom. Je ne me sens pas du tout concerné. Dans mon rêve, sa phrase est parfaitement claire, elle est prononcée en italien, le nom propre aussi est prononcé en italien. Elle dit, deux fois, en les appelant “Borges Martedi Mardi !”Rome, 12 juin 2007

Rue Cherubini

Rue Cherubini

En December 2006
C'était l’hiver
Ref 167.11a

Stéphane dit : "Tout est là, en ordre dispersé. Heureusement, le gros œil voit tout, de là-haut. Et il compte les miettes"

La nuit, place Saint Germain-des-prés

La nuit, place Saint Germain-des-prés

En November 2006
C'était l’automne
Ref 166.30a

Quand j'étais jeune, dans ma cité de L'haÿ-les-Roses, il y avait des impacts de balle dans les murs. Je me souviens de Monsieur Cardozzo qui écrasait des insectes à la main. Mes amis organisaient des combats entre des araignées et des guèpes dans des bouteilles de plastique, l'un d'entre eux s'appelait Moufid. L'hiver nous faisions de la luge sur les pentes du garage surélevé en enfilant des sacs poubelles. Dans l'ascenceur, une fois j'ai trouvé un sac poubelle rempli de chatons.
Un soir il y a eu un feu dans l'immeuble. L'odeur me revient de temps à autre, je n'ai jamais pu mettre le doigt dessus, mais elle m'est très familière. Tout avait été très vite, les familles étaient sorties en grappes les unes après les autres et nous n'avions eus le temps que de prendre un objet. Je me souviens de la lumière  qui était rouge et des visages de mes voisins qui avaient froid. Chacun avait eu le temps de prendre un objet important afin de le préserver du feu (ironiquement, le feu se détruisit rien), et nous attendions tous dans la rue, la nuit, avec une petite télé, un GI-Joe, une boîte à bijoux en plastique, un dictionnaire, la carte d'un pays lointain. Mais c'est une vieille histoire maintenant, qui me semble l'histoire d'un autre.

Paris photo

Paris photo

En November 2006
C'était l’automne
Ref 165.22

Stéphane et moi, nous dormions dans le bâteau, un petit navire neuf de plaisance blanc. La fente qui laissait entrer l'eau n'était pas inquiétante, et nous avions le temps. Patrice est venu nous chercher en barque, et je pense que c'est moins le niveau de l'eau dans la partie arrière de la coque que l'empressement de Patrice qui nous mit mal à l'aise. Il fallait donc y aller. bien sûr, la première chose que je prends est le Leica. Mais je réalise au moment de passer dans la barque que toute ma bibliothèque est dans une pièce qui coule. Je redescends et je les vois : Kafka, Kipling, Maupassant, Calderon, Vian, Bioy, Hawthorne, James, Frost, Sartre, Borges, Aragon, Calvino, Leonardo Vairo et Najet Ghaouti et Héraclite qui disait "car c'est la mort pour l'âme que de devenir eau et mort pour l'eau que de devenir terre. Mais l'eau vient de la terre et l'âme vient de l'eau". Je sais que tous ces livres ont déjà coulé, car leurs auteurs sont morts, ou mourront, mais ces livres sont précieux parce qu'il y a mes petites croix aux mots importants, ou parce qu'on me les a offerts, ou parce que je les ai lus dans un lieu qu'ils me rappellent. Stéphane vient me chercher, Patrice nous presse de quitter le bâteau, mais le drame n'est pas dans le danger, car l'eau coule monte si lentement qu'on ne la sent pas monter. Je sais que l'eau montera et que ma bibliothèque tombera et que je ne retrouverai pas mes petites croix. Mais il me reste l'espoir de sauver quelques livres, quelques volumes légers que la barque pourra ramener avec moi. Soudainement, l'émotion la plus forte me prend quand je vois les plats blancs de la lourde Encyclopedia Universalis de mon grand père, Henri Victor Dandrieux, qui l'a donnée à ma mère Catherine Françoise Dandrieux et dont je suis dépositaire. Et je refuse, je refuse, et je rêve que je pleure et le rêve que je pleure se dissout comme l'eau dans l'eau.Paris, 30 mars 2007 

How long do you mean to be content ?

How long do you mean to be content ?

En November 2006
C'était l’automne
Ref 165.21

En mai 1816, l’écrivain romantique Mary Shelley et son mari, l’écrivain romantique Percy Bysshe Shelley, en compagnie de Lord Byron et de Claire Clairmont, que Lord Byron venait de mettre enceinte, partirent ensemble pour quelques vacances au bord d’un lac. Ils sortirent beaucoup et profitèrent du beau temps. Les jours où ils ne le pouvaient pas, ils jouaient à inventer des histoires, et l’une de ces sessions eu pour défi les contes d’épouvante. Mary Shelley raviva les expériences qu’elle avait lues dans la presse, au cours desquelles les membres de grenouilles mortes avaient été animés par la force de l’électricité. Ce même jour, elle fit un rêve éveillé qui lui laissa l’intrigue d’un monstre, composé par des pièces volées aux dépouilles publiques, et animé par la science. Les sentiments de ce monstre seraient aussi monstrueux que ceux du docteur Frankenstein, qui en quelques sortes l’aurait crée. Lorsqu’elle raconta ce rêve, elle le fit en ces termes : “my imagination, unbidden, possessed & guided me, gifting the successive images that arose in my mind with a vividness far beyond the usual bounds of reverie... I saw the pale student of unhallowed arts kneeling beside the thing he had put together — I saw the hideous phantasm of a man stretched out, and then, on the working of some powerful engine, show signs of life, and stir with an uneasy, half-vital motion... What terrified me will terrify others; & I need only describe the spectre which had haunted my midnight pillow”.
Six ans plus tard, le 8 juillet 1822, Percy Bysshe Shelley se noya, ou se suicida. Le 11 août qui suivit, dans une lettre adressée à Mrs Gisborne, Mary Shelley, veuve, raconta deux autres rêves, avec le même intérêt pour les histoires d’épouvante. Dans le premier rêve, venu à une amie, Percy Bysshe Shelley, qui pour la veille était mort, passait devant la fenêtre de sa femme, sans manteau ni veste. Ils se regardèrent un instant mais conservèrent le silence, sans doute dans la crainte de troubler la pudeur du surcis.
Le second rêve était venu à Percy Bysshe Shelley lui même, et il l’avait raconté à sa femme avant de trouver la mort. Comme dans le tableau de Dante Gabriel Rossetti où deux amants se rencontrent eux-mêmes dans la forêt, dans son rêve, le poète avait rencontré son double. En Allemagne, on le nomme Döppleganger, en Ecosse le Fetch, ce qui signifie “prendre” car il vient chercher les hommes et les mène à la mort. Dans les vers allitératifs de l’Edda Poétique persiste le soupçon que les animaux d’Odin, Geri et Freki, Huggin et Muninn, évoluent chacun en pair avec leur double, ce qui les dispense de rencontrer jamais la mort. Mary n’ignorait pas ces superstitions, car elle ajouta “he told me that he had had many visions lately — he had seen the figure of himself which met him as he walked on the terrace & said to him — “How long do you mean to be content” — No very terrific words & certainly not prophetic of what has occurred”.

Galleria Vittorio Emmanuelle

Galleria Vittorio Emmanuelle

À Milano
En November 2006
C'était l’automne
Ref 165.11

C'était en juillet 2003, et le dernier objet de mon héritage, une Rétinette Kodak sans télémètre et sans cellule, ne quittait plus ma main. Au début, je la sortais par courtoisie, puis est venue une ferveur un peu infantile, et le défi de réussir enfin une photo. Réussir une photo, avec une Rétinette, cela veut dire prendre une photo qui n'est ni floue ni hors focus. En juin 2003, le jeune homme du mauvais labo m'avait annoncé une bonne nouvelle : il pouvait enfin me facturer un tirage.
Le mois de juillet qui suivit, nous traversions l'italie, Casilli et moi. J'ai vu Campo Basso, où les portes des pièces grincent à cause du tremblement de terre, et les routes de la Molise, première région productrice de sable, Bari où un homme s'est noyé sur un banc à cause de l'humidité, Pescara, des montagnes en feu et Milan. A Milan, il y avait la Galleria Vittorio Emmanuelle II. Dans la photo prise ce jour, qui est la photo d'un novice, on voit une toile d'araignée et la cartographie mystérieuse du ciel.
Depuis, 3 ans ont passé, pendant lesquels j'ai fait des photographies. Je ne sais toujours pas pourquoi je produis ces images, qui ne sont ni plus dignes, ni moins dignes d'être vues que d'autres, mais qui sont moins dignes d'être aimées que certaines. Je pensais qu'avec un peu de temps, j'aurais trouvé une motivation secrète, ou une coincidence dans mon parcours, dans le parcours de ma famille ou dans l'image que je voudrais donner de moi. Aucune de ces choses ne s'est produite. Mais un soir de l'été 2006, avec Valentina et Alessandro, en écoutant un concerto de piano à Bibli, à Trastevere, une idée m'est venue, qui touche la littérature, mais qui sans doute touche aussi la photographie, ou qui touche ma manière de voir ces deux choses du même oeil.
Bibli est un lieu calme et livresque, ouvert tard le soir, où des jeunes romains lisent Les villes invisibles et le Livre de Sable, tirés au hasard des branches et des amples rayonnages. Le pianiste, dont je n'ai jamais su le nom, paraissait jouer sans vraiment être là. L'idée qui est venue est la suivante : il doit y avoir quelque chose de plus vaste que la littérature, ou que la photographie, qui contient l'une et l'autre, et peut-être que la photographie et la littérature, si on les intéroge, sont des formes creuses, ou abandonnées, qui pointent humblement cette chose. Je ne doute pas de l'antiquité de cette idée, ni de son inactualité. Certaines personnes, dont je ne fais pas partie, ont le don de se souvenir des inspirations de Platon et de Coleridge, sans jamais les avoir lues. J'ai la chance de croiser ces gens, et il m'arrive de les imiter. Ainsi, depuis que cette idée est venue, certaines choses se sont éloignées de moi : les discussions sur le style direct et le style élaboré, les virages au sélénium et à l'or et les papiers barytés, Photoshop, les chiffres de diaphragme et de focale, le traitement croisé. Peut-être que les mots "littérature" et "poésie" sont des mots paresseux, car lorsqu'un ami me demande de définir l'une ou l'autre, je sens que la première parole de ma définition sera l'antithèse parfaite de la littérature ou de la photographie. Du coup, en écoutant ce pianiste, je me suis senti très calme et ma grammaire s'est appauvrie. Sa manière de faire, sans se poser de question, qui est inconnue aux Français depuis les années 50 et Jean-Paul Sartre, était une prodigieuse suggestion, et je m'en satisfais encore sans pour autant savoir la formuler clairement.
Quelques semaines plus tard, en novembre 2006, je devais suivre Stéphane et Vincenzo à Milan pour une conférence. Nous étions face à une baie vitrée, au dernier étage de la IULM, l'université privée de media et sciences de la communication, et le soleil déclina le long de nos interventions. Nous nous sommes retrouvés à cinquante, peut-être quarante, subitement intimes et surpris par la nuit, à parler entre nous de l'imaginaire. Le lendemain, le Leica a pris cette photo de la Galleria Vittorio Emmanuelle II, presque trois ans, ou un peu plus de trois ans, après l'avoir déjà prise, sans que j'y pense.