Ce paysage qui bouche le paysage
C’est le jour des soldes, mais je ne le sais pas. Je m’en rends compte en pénétrant dans un magasin que d’autres ont pris d’assaut en conséquence d’une lente stratégie de siège — moi c’est par hasard qu’autant qu’eux je vais pouvoir en profiter, dans le fond j’aimerais que cela m’indiffère.
Un tas infamant de belles boites gît sur le sol. Il y a des shorts 3/4 Rapha en marron. Je ne les aime pas trop trop, mais ils sont si peu chers ! Taille 59, je vois distinctement le chiffre. Quelle chance, je porte justement le miens (le bleu) et peux m’assurer que la taille correspond. Je ne le veux pas tant que ça, mais c’est une affaire et un signe des dieux.
Pour m’ôter de l’esprit le tracas d’avoir à rater autre chose, je continue de fouiller, déballant partout au sol d’autres boîtes. Mais rien d’autre. Je remets sans conviction les choses les unes dans les autres et m’apprête a partir, cependant je ne retrouve plus le short que j’avais mis de côté. Je redéballe - peut être l’ai-je remis par hasard dans l’une des boîtes, mais le retrouve encore moins (c’est à dire que d’autres choses, qui étaient là il y a une minute, ont elles aussi disparues). Des âmes rôdent alentour, mais elles conservent encore leur distance en épiant. Je demande à un vendeur s’il peut vérifier les entrées et sorties de stock, quelqu’un a dû me le prendre, je me l’étais mis de côté, taille 59, regardez. Le vendeur hésite, il a tant d’autres choses plus importantes à faire, il lit dans le ton de ma voix entre autres que cela dans le fond m’indiffère. Cette fois je le regrette un peu et songe véritablement à me laisser aller. Mais il faut se faire à l’évidence : j’avais trouvé quelque chose qui, même si je ne le désirais pas tant que cela, était tout de même la résultante de tout un tas de hasards plus ou moins taillés sur-mesure et qui, au moins pour cette raison, étaient de grande valeur. Maintenant cela s’est perdu, et toute cette identité construite pour le coup s’est perdue dans le même temps.