Now
Season
Ce paysage qui bouche le paysage

Ce paysage qui bouche le paysage

À Paris
En March 2011
C'était le printemps
Ref 281.17

C’est le jour des soldes, mais je ne le sais pas. Je m’en rends compte en pénétrant dans un magasin que d’autres ont pris d’assaut en conséquence d’une lente stratégie de siège — moi c’est par hasard qu’autant qu’eux je vais pouvoir en profiter, dans le fond j’aimerais que cela m’indiffère.

Un tas infamant de belles boites gît sur le sol. Il y a des shorts 3/4 Rapha en marron. Je ne les aime pas trop trop, mais ils sont si peu chers ! Taille 59, je vois distinctement le chiffre. Quelle chance, je porte justement le miens (le bleu) et peux m’assurer que la taille correspond. Je ne le veux pas tant que ça, mais c’est une affaire et un signe des dieux.

Pour m’ôter de l’esprit le tracas d’avoir à rater autre chose, je continue de fouiller, déballant partout au sol d’autres boîtes. Mais rien d’autre. Je remets sans conviction les choses les unes dans les autres et m’apprête a partir, cependant je ne retrouve plus le short que j’avais mis de côté. Je redéballe - peut être l’ai-je remis par hasard dans l’une des boîtes, mais le retrouve encore moins (c’est à dire que d’autres choses, qui étaient là il y a une minute, ont elles aussi disparues). Des âmes rôdent alentour, mais elles conservent encore leur distance en épiant. Je demande à un vendeur s’il peut vérifier les entrées et sorties de stock, quelqu’un a dû me le prendre, je me l’étais mis de côté, taille 59, regardez. Le vendeur hésite, il a tant d’autres choses plus importantes à faire, il lit dans le ton de ma voix entre autres que cela dans le fond m’indiffère. Cette fois je le regrette un peu et songe véritablement à me laisser aller. Mais il faut se faire à l’évidence : j’avais trouvé quelque chose qui, même si je ne le désirais pas tant que cela, était tout de même la résultante de tout un tas de hasards plus ou moins taillés sur-mesure et qui, au moins pour cette raison, étaient de grande valeur. Maintenant cela s’est perdu, et toute cette identité construite pour le coup s’est perdue dans le même temps.

Reconnaître les signes avant-coureurs

Reconnaître les signes avant-coureurs

En February 2011
C'était l’hiver
Ref 280.18

Je me souviens avoir passé de longues minutes à réparer l’étanchéité d’une vasque de toilette alors qu’H. s’affarrait ailleurs. Je me sentais vivre dans ces petits détails qui construisaient peu à peu notre maison éparse. Ce jour-là, en me regardant dans la glace, je vis sur ma poitrine un énorme «Santa Fe» tatoué au henné. Ni H. ni moi ne nous souvenons de quand j'aurais pu m'endormir assez profondément pour que les argentins, qui dorment quelque part dans la maison de Manosque avec nous, me laissent ce souvenir sans que je ne m’en aperçoive...
Manosque, 9 août 2010

Les moeurs de chacun

Les moeurs de chacun

En February 2011
C'était l’hiver
Ref 280.16

Il me suffira de tourner à droite au feu pour quitter le boulevard Saint Germain et monter au flanc de la Montagne Sainte Geneviève, jusque chez MM où je suis attendu. Je m’arrête dans une petite épicerie afin d’acheter quelques sucreries, qui sont toujours plus vieilles et donc plus dures dans les petites épiceries. Entente cordiale avec le marchand et son fils, je m’apprête à payer lorsque mon téléphone (portable) sonne. C’est Aurore. Sa voix douce et raconteuse me demande comment je vais, mais je sais tout à fait où nous mènent nos politesses : j’ai posté hier, sur le Souvenoir, une photo où elle figure imparfaitement, sans le lui en avoir demandé la permission. Elle ne m’en veut pas, je le déduis du ton de sa voix, mais elle vient faire valoir son droit, et je suis en dette dans cette épicerie.
— ne quitte pas Aurore, je suis chez l’arabe du coin, c’est compliqué, dis-je.
à ces mots, le marchand me regarde avec violence et mépris. Je ne parviens pas à m’expliquer, à relativiser cette expression que tout le monde emploie et qui, s’il elle n’est pas bien heureuse, est aussi dénuée de racisme ou de jugement, mais le marchand me met son poing dans le nez, et son fils me poursuit dans les rayons du magasin. Je vois la grille se baisser pour me piéger, j’entends parler de la police.
Parvenu à m’extraire du magasin, je me faufile doucement dans la foule et coude à droite où j’espère la police ne me poursuivra pas. Finalement, je fouille mes poches et j’éteins le téléphone, parce que je n’ai la bonne monaie pour régler aucun de mes comptes.
Rêvé à paris, 17 juillet 2010

Comment se cacher de ce qui ne se couche jamais

Comment se cacher de ce qui ne se couche jamais

En February 2011
C'était l’hiver
Ref 278.29

Un grand rassemblement, dans ce qui est d’abord une chambre, puis devient un chalet puis une propriété de montagne en surplomb de la ville à force que je le parcours. H., qui possède ce lieu à la marge, par un jeu de familles, reste introuvable. Je socialise gaiement, mais le regret me prend de laisser ce lieu sauvage et multiple à l’abri d’un bon photographe ; je décide de partir à l’aventure. Cependant, puisque H. peut se cacher quelque part, mieux vaut être préparé, et ne pas ressembler à ce que j’étais lorsque nous nous sommes quittés (j’ai une tendance à la fixité). Je décide par exemple de prendre un Leica numérique.

Je déambule sagement dans l’immense préau entouré par des coursives et des fenêtres à carreaux en attendant la photo. J’ouvre certaines portes, il y a des ateliers avec des rubans, des ciseaux, des couleurs ; la famille d’H. doit prêter ce lieu à toute sorte de passionnés. Soudain j’entends du bruit. Un père et son petit blondinet entrent dans un hall qui aboutit à ma position. Je me cache derrière une porte et écoute. «Mais papa il faut que ça sorte» dit le petit, puis, en se grattant la pluma «ces herses qui pointent de mon dos c’est pas normal, c’est pas normal». Je vois sur le visage de l’homme qu’il sait son enfant condamné à une atroce transformation, mais qu’une décision féminine qui le dépasse le fige dans le silence. C’est la photo. Je tourne les boutons du boîtier comme à mon habitude mais je ne comprends rien aux trigrammes et aux indicateurs des réglages. Je sais exactement ce que je cherche mais la continuité entre la caméra et moi est rompue ; fichu numérique.

Automatiquement, je regarde dans l’objectif — sait-on jamais que le bon bouton se présente — et il se passe alors cette chose : un violent trans-trav déforme jusqu’au gigantisme le père que je visais. La porte vitrée derrière laquelle je me cachais est abolie, ainsi que tout ce qui est hors du cadre, la lumière s’accorde avec ma position et une vague peu haute mais très longue inonde le hall, le préau et le paysage. Je m’agenouille en levant les bras pour sauver l’appareil qui est électrique, et me baigne dans le sentiment de concorde universelle qu’apporte le moment où un homme a le courage de prendre une bonne photographie. Très haut au dessus de moi, l’immense père pleure gravement sur le destin qui attend son fils, et je suis si petit, si lointain à ses yeux que mes déclenchements sont (littéralement) des vaguelettes qui heurtent ses chevilles.

Plus tard, Dante me voyant revenir au chalet, il me dira de suite qu’H. n’est toujours pas revenue. Nous avons déjà commencé à nous balader ensemble en direction de la ville qu’il rajoute «mais je sais où elle se trouve. Je vais t’y emmener». Je commence à être fatigué de ce rêve qui me fait un peu courir. Dans la vile, il y a des sortes de cycle-taxis qui portent des touristes mais dont la démarcation commerciale est qu’ils pédalent à l’envers. C’est une très mauvaise idée et la circulation nous en offre plusieurs preuves. «C’est ici», me dit Dante, en me montrant un quartier entier de la ville sur lequel le soleil se couche. Je sais qu’il sait exactement où elle se trouve, car il aurait trop peur de me décevoir. Mais c’est justement cette précision qui me freine. Je n’imaginais pas cela comme ça, surtout après cette après-midi ; nous devrions nous rencontrer malgré nous, pas nous chasser. Depuis les hauteurs d’une bretelle de béton suspendue, je regarde les voitures et les feux, puis je me regarde moi-même. A mon poignet gauche les rubans n’ont pas beaucoup changé, j’ai mon t-shirt beige de camping, un Leica numérique que je ne maîtrise pas ; ce n’est pas la personne que je souhaiterais présenter, pas après tout le travail que j’ai fait pour devenir quelqu’un de sympa. «Mais comment sais-tu où elle se trouve exactement», demandais-je à Dante. Et Dante me regarde et me répond «je l’ai su par la sémiotique du koala». Cela fait sens, mais faut-il lui faire confiance?

Rêvé à Paris, novembre 2011

Pour moi aussi c’est la nuit — cela n’est-il pas une consolation?

Pour moi aussi c’est la nuit — cela n’est-il pas une consolation?

En February 2011
C'était l’hiver
Ref 276.16

Les vecteurs du rendez-vous nous avaient été confiés de manière à ce que nous sachions exactement lorsque nous serions arrivés, sans que pour autant, tout le long du trajet, nous n’ayons une idée parfaite des paysages et du terrain où se déroulerait l’échange.

Finalement, il s’agissait du point exact où le désert devenait la plage et la mer. De longs navires foncés avaient péri dans les bancs de sable, et ils étaient la seule note de noir parmi les ors des dunes et le bleu successif des vagues et du ciel.

Mon compagnon et moi, qui avions marché dans l’angoisse, attendions désormais. Au bout d’un moment qui parut trop long, un homme portant une lance nous ramena dans les tourbillons nos pères, dont les jambes et les mains portaient les fers. Il les conduisit devant nous et nous pleurâmes devant leurs visages rendus. Leurs muscles étaient saisis par la lumière, la faim, la marche et quelques jeux de cirque avaient tendu leur chair. Leurs yeux étaient clairs et leur barbe arrêtait les raillements du sel et le fouet des vents.

L’homme s’en alla, mais son visage calme me fit craindre que quelqu’un d’autre, ailleurs dans le monde, avaient reglé la somme de cet échange, et que nous ne pourrions jamais solder ce compte, où que nous chercherions ensemble et à jamais à le solder ; et nos pères furent aussi libres que nous.

La plage est une discontinuité imaginaire entre la mer et le désert, elle relie ce qui n’est pas séparé.

Paris, 3 février 2011

Ou : même parabole racontée par Rainer Maria Rilke : « mon ami, écoute une toute petite histoire. Deux âmes solitaires se rencontrent dans le monde. L’une de ces âmes fait entendre des plaintes et implore de l’étrangère une consolation. Et doucement l’étrangère se penche sur elle et murmure : pour moi aussi c’est la nuit. — Cela n’est-il pas une consolation ? »

Dans le Palatino le coeur jeune

Dans le Palatino le coeur jeune

En February 2011
C'était l’hiver
Ref 275.33

«Je ne sais pas», répondis-je, «sans doute que j’ai trop raconté cette histoire, et que je me souviens plus facilement des moments où je l’ai racontée que de ce qui s’est passé réellement».

L’autre qui marchait avec moi ne répondit pas, mais parce que je le connaissais bien, ou parce que je lui avais déjà dit cette phrase, je sus ce qu’il pensait. Nous marchammes en silence dans les rues de Paris jusqu’à ce qu’à un croisement mon regard soit attiré par de petits éclats brillants. Je m’accroupis et trouvai au sol trois lumineux objectifs pour Leica. Je les reconnus instantanément : il y avait un 35 et deux 50, des modèles des années soixante, dont l’un était rétractile. D’un coup d’oeil optimiste, je cherchai qui aurait pu les faire tomber, mais ne trouvai personne de possible. Mon regard appuya un instant le dos d’un homme à lunettes, qui était accompagné d’une femme. Il se retourna soudainement, je vis le gros appareil Canon à sa ceinture et il vit les objectifs que je protegeais dans mes mains et ma position encore accroupie. Il s’approcha de moi sans me demander si je les avais trouvé par terre, mesurant que, tant que je ne m’étais pas relevé, je n’oserais pas lui demander de preuves que ces objectifs lui appartenaient réellement, et qu’il pourrait tout obtenir au culot. L’homme fouilla mes mains et tira le 35mm, le plus beau de tous. Je n’osai pas lui demander de preuves, et le culot lui obtint tout. C’est à peine si je lançai à son dos qui s’éloignait «mais vous utilisez un Leica au moins» ? Il savait comme moi que des milliers de francs venaient de sortir du sol, et que ce que je n’avais pas eu le temps de m’approprier pouvait encore passer de main en main, que ce qui n’est pas encore à moi est à tout le monde.

En partant par le bus, Je me mis à songer à cette leçon ; que l’on pouvait se faire dérober d’une robe sans que cela ait la brusquerie d’un vol : il suffisait de ne l’avoir jamais porté, la disparition serait alors une chose assez douce.

Par la fenêtre vint le visage d’une jolie fille en bicyclette que je pris en photo, et nous nous saluâmes chacun de s’être donnés à voir, elle qui jouait le jeu de la joliesse, et moi qui lui avouait qu’elle me plaisait en ajoutant au monde une photo respectueuse.

I blindhet och oro på väg till ett mirakel, medan jag osynligt förblir stående

I blindhet och oro på väg till ett mirakel, medan jag osynligt förblir stående

À Paris
En January 2011
C'était l’hiver
Ref 275.30

At times my life suddenly opens its eyes in the dark. A feeling of masses of people pushing blindly through the streets, excitedly, toward some miracle, while I remain here and no one sees me.

It is like the child who falls asleep in terror listening to the heavy thumps of his heart. For a long, long time till morning puts his light in the locks and the doors of darkness open.

Tomas Transrtömer, Kyrie

Te voilà.

Te voilà.

En November 2010
C'était l’automne
Ref 273.7

Il existe une heure de la soirée où la prairie va dire quelque chose. Elle ne le dit jamais. Peut-être le dit-elle infiniment et nous ne l'entendons pas, ou nous l'entendons et ce quelque chose est intraduisible comme une musique.JLB. La Fin, au milieu des années 40

Astrid Ice Viktoria Karlsson

Astrid Ice Viktoria Karlsson

En September 2010
C'était l’automne
Ref 269.22a

Quelques minutes plus tard, rêve d’Ice. Alors qu’elle s’apprête à s’endormir dans une sorte de grenier où d’autres ont dû se réfugier, je vois que la fuite d’eau de mon plafond, qui irrigue déjà le lit, laisse maintenant passer du sable. Il est possible que malgré tous les échafaudages, cette partie de ma chambre s’effondre. Je cours vers le grenier pour en parler à Ice, qui s’étonne que je sois plus touché par le grand écroulement de la rue Rameau que par le fait que ce soit celle-ci l’une des dernières nuits qu’elle passe à Paris.
Paris, 20 janvier 2011

Les animaux sauvages

Les animaux sauvages

En September 2010
C'était l’automne
Ref 267.3a

C’est un jeune homme noir qui raconte cette histoire dans l’herbe la nuit, le dos sur un tronc d’arbre couché, épié par nos visages attentifs. Le lent raclement de sa guitare la ponctue.

Le chasseur qui en est sujet avait d’abord frappé le singe à la tête à dessein de le tuer. Mais ne le voyant pas céder à la mort, après plusieurs heures d’indécision, il se résigna à le traîner par le bras où qu’ils aillent et quel que soit le nombre des années que compteraient leur voyage, lui faisant payer le poids du fardeau par une fière indiférence, sans doute dans l’espoir magique de l’annuler. Le Noir raconta ensuite les paysages successifs qu’ils traversèrent, et le son de sa guitare les peuplait d’oiseaux nocturnes, de levers de soleils sur les rochers des lions, de fuites pieds nus sur des plaines de mousse et de pierres vives, et la fois où il parvint à rencontrer la mer il ne joua point de notes, car le chasseur n’avait jamais vu la mer et il la contempla.

Il arriva que le singe se réveilla. Sans comprendre ni qui il était, ni ce qui l’avait mené si loin de son arbre, il leva ses yeux sur le chasseur qui le tirait, et le chasseur ne parvint à lui rendre ni la clémence qu’il l’imagina supplier, ni le détachement qui suivit et dura, et qui convenait aussi peu à une proie qu’à son chasseur. Lorsqu’ils eurent repris des forces, les pieds du singe se mirent à marcher pour accompagner la marche du chasseur, et bientôt ils partagèrent le port de leur poids. Son bras fut délivré de la ceinture qui le contraignait et, bien que pas un mot ne fut échangé pendant que les soleils se levaient et se couchaient sur leur nuque, dans les derniers paysages que le Noir décrivit, où figurèrent d’abord des dunes rectifiées par le vent et les supplications des scorpions, apparurent peu à peu des protagonistes aux visages indéchiffrables, qui ignoraient l’ombre du chasseur et s’adressaient directement au singe, et qui chaque fois nous semblèrent moins grands (comme le racontait bien le Noir !) à mesure que le singe rendait au chasseur son autonomie et les joies intimes d’une autre chasse à venir.

Paris, le 23 juin 2011

Je te tiens, tu me tiens

Je te tiens, tu me tiens

En August 2010
C'était l’été
Ref 267.31a

Je connais quelqu’un qui n’est pas mon ami, mais qui aurait pu le devenir si les choses avaient tourné autrement, et peut-être le deviendra.
Nous partons faire du parachute sur sa propriété. Il possède un vaste domaine qui s’étend jusqu’à l’horizon, et continue ensuite sur quelques mètres de plaine. Un soir, comme Don Alexandro Glencoe pour répondre à quelqu’un qui lui demandait où étaient les commodités, il regarda loin devant lui et fit un grand geste de la main.
Les parachutes sont solidement attachés, mais je suis pris d’un doute. Ma mémoire n’est pas une vieille mémoire, mais elle rassemble des faits éparpillés sur plus de 28 ans, et, la nuit, elle me ramène aussi d’autres faits. Maintenant qu’il faut sauter, ce serait le bon moment pour me souvenir si oui ou non j’ai mélangé des câbles ou rogné les dents des rouages qui actionneront, ou pas, la grande voile du parachute de mon ami, à l’heure du destin : mais je n’y arrive pas.
Paris, le 22 octobre 2007

Soudain : la fixité

Soudain : la fixité

En August 2010
C'était l’été
Ref 266.11a

Piégés dans les vestiaires fumants, nous sortions un par un du sauna en sachant obscurément que notre sort avait déjà était scellé. A chacun la vigie monstrueuse distribuerait, selon un ordre innaccessible, un jeu de portraits photographiques au format Polaroid. Au départ les tirages seraient bleus, ce qui nous permettrait de nous reconnaitre. Lorsque les miens devinrent verts, je me relevai de mon désespoir et, passant sauf l’attention de la vigie, me dirigeai vers d’autres joueurs aux photos vertes. Après nos longues années de captivité, le vestiaire s’était allongé en allées carrelées et en cascades d’eaux brûlantes, que pavaient les corps des autres joueurs aux photographies bleues. Nous, nous n’étions plus que trois. Je ne sais combien d’années encore s’écoulèrent avant que nous ne déchiffrâmes que la figure de chacune de nos cartes représentait une valeur, et la couleur verte la capacité d’échange, ce qui plaçait dans nos mains une sorte de monnaie ; mais, avant que nous ne réalisions que nous étions riches et, noyés par la spéculation, commençâmes à nous retourner les uns contre les autres, l'un d'entre nous manquait déjà. Il avait abattu ses cartes dans l’humidité tout en criant, et l’oeil unique que notre docilité n’avait jamais forcé la vigie à lever préservait une flamme glorieuse ; nous vîmes qu’elle éprouva jusqu’aux plus précieux souvenirs de notre compagnon, je veux dire qu’il mourrut.
Paris, 11 juillet 2011