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Les chiottes du Sketch

Les chiottes du Sketch

À London
En October 2005
C'était l’automne
Ref 142.36

Dans le bar bulle du Sktech, il y a la fille à la robe fendue jusqu'en haut. A un moment je vais aux toilettes pour découvrir que la blague (faite un nombre de fois rasant) n'était pas une blague : les chiottes du Sketch sont une réplique d'un champ d'oeufs aliens, avec quelques libertés finalement bien commodes prises au niveau des rapports de taille.Je ne sais pas lequel choisir, vraiment, j'hésite.Finalement j'ouvre le bon : il y a la fille de dos avec sa robe sur la tête et le string à l'abandon. Pris entre l'effroi (le lieu revient tout d'un coup) et un étrange sentiment que justice vient d'être rendue, je referme la porte en disant "not so sorry".

Giò sur le toit du Palazzo di Monte Giordano. Le reste : Rome

Giò sur le toit du Palazzo di Monte Giordano. Le reste : Rome

En October 2005
C'était l’automne
Ref 142.23

Comme toujours, nous allons prendre un verre à l'ombre. Giò m'avait proposé de visiter les nouveaux locaux d'Isicult, qui déjà s'étendait sur le dernier étage de la via della Scrofa et qui maintenant, me dit-il, domine le monde.Je me souviens d'une villa juste derrière nous, dont on m'a souvent chassé et qui est un point noir dans ma connaissance de la ville. "Un Palais", précise-t-til : le Palazzo di Monte Giordano. Le bureau d'Angelo, accueillis par la pièce spéculaire, au dernier étage de la tour du Palais, devait être la fin de ma visite des nouveaux locaux d'Isicult. Sur la terrasse, il y eut une eclipse de ciel. Dante (l'autre) raconte le pélerinage suivant :Come i Roman per l'esercito molto, l'anno del giubileo, su per lo ponte hanno a passar la gente modo colto, che dall'un lato tutti hanno la fronte verso il castello e vanno a Santo Pietro; dall'altra sponda vanno verso il monte. (Inferno, XVIII 28-33)

Villa Ada

Villa Ada

En October 2005
C'était l’automne
Ref 141.27

J'ai été amoureux ici, pas loin d'ici, d'une fille qui aujourd'hui est enceinte. J'ai vécu l'orgueil d'être un invité, l'humilité d'être un invité, la bienveillance de ceux dont on ne connaît pas la langue. Pour écrire, j'ai un bureau, pour rêver j'ai le même bureau, j'ai vu des forêts et les mères des hommes que j'aime, la mer, de nombreux couchers de soleil et de nombreux levers de soleil.

mvd rue Rameau (par Lue)

mvd rue Rameau (par Lue)

En August 2005
C'était l’été
Ref 137.25

Ma mère vient d'arriver pour la kermesse des arcades, aux jardins du Palais Royal. Sylvain est en retard et nous avons rendez-vous avec Renaud, dans un rad. Je pose le Leica, avec son 90 sur une chaise et je parcours toutes les arcades pour rejoindre ma mère. Elle est dans une villa et elle va bien. De retour de l'autre côté des arcades, je demande à un vendeur de journaux s'il a vu le Leica. Il me dit que quelqu'un est entré pour prendre l'appareil photo. Je suis mortifié. Je veux, un instant, regarder sous son étalage pour voir si ce n'est pas lui le voleur. Je lui demande qui c'était, à quoi il ressemblait. Il me dit "un homme très beau, accompagné de deux autres avec des bas sur la tête", comme les rappeurs. Comme je m'en veux de ne pas avoir cherché ces gens des yeux, de l'autre côté des arcades ! Ils me sont obligatoirement passés devant sur le chemin du retour. Je rentre dans ma chambre de Saint Gratien, la première. Je dors dans mon lit superposé, et il y a Eric Sauvion, qui pour la veille est le fantôme d’un ami. Je me relève parce que je n'arrive pas à dormir, je fouille partout, même les endroits secrets (de cette chambre passée) où j'avais caché des objets secrets. Quelques fois je bute bien sur un autre appareil, je vois clairement la Retinette de mon Grand Père sous la table à Legos, quelques autres, mais du Leica : rien. Je le dis à Eric, sur le ton du reproche (d'un coup il avait eu quelque chose à voir avec les arcades) : c'est bel et bien fini, le Leica n'est plus, le Leica et son 90. Résigné, je prends la voiture (j'adore conduire, je conduis très bien, comme à chaque fois) et je vais finalement accomplir le rendez-vous au rad, mais je ne sais pas où est Sylvain. Je fais demi-tour pour retourner le chercher, j'imagine Renaud qui nous attend. Ma peine est infinie, mais déjà des autres choses se passent, le rêve se dilue et je me réveille, très libre et affolé. J’ai remercié quelque chose. (Hier, en rentrant, au lieu de mettre le Leica et son 90 sur les étagères, je les avais mis sur le lit. Pour m'endormir, je n'ai pas eu la force de les ranger, je me suis permis de les poser au sol et le déplaçant, par la sangle.)

Chantal Tomass

Chantal Tomass

En August 2005
C'était l’été
Ref 135.8a

Plume.« D’accord », il lui dit, « mais montre-moi d’abords tes gambettes ». Elle remettait la couette sur sa peau blanche et piquelée par le froid, mais lui ne le voyait pas de cet oeil. Ils se susurrèrent quelques mots dont on ne sait pas plus. Elle s’enfourna si bien la tête en lui qu’entre son torse cartilagineux il y eût l’espace de mettre une tête. Une petite tête, de petite fille, un bouton. Elle s’éclot de sous la couette quelques secondes plus tard dans une inspiration violente, parce qu’il la lui avait mise dessous pour jouer. Elle était tellement belle, il pensa. « Tu es tellement belle » il lui dit. Elle ne comprit pas, mais ça la fit sourire, d’une torsion de bouche inédite comme chaque fois, d’un petit rire de mupin. Dans le fond, à cet instant elle ne pensait plus au froid, il pouvait mater les jambes alors il était satisfait.« Je crois que j’ai jamais aimé quelqu’un comme toi, ou quelqu’un comme ça », il dit. « Ca veut dire que tu m’aimes comment ? » elle fit. « Comment quoi ? » il dit. « Tu m’aimes comment ? » répondit-elle. Alors « Comment quoi ? » il refit. Elle avait redressé son long dos nu : « Moi je t’aime comme mes cheveux ». C'étaient ses derniers mots. Comme si ses cheveux c’était plus long qu’un fleuve ou qu’un puits.Il y avait cette chose dans l’air, cette odeur de l’amour qui lui rappelait pourquoi il était venu la voir ce soir et il se sentit soudainement sale. Il la remit bien fort contre lui, en collant le plus de peau à sa peau, en essayant d’oublier le reste de son corps qui pendait seul dans le vide comme un bateau fantôme. Il commença à se secouer très doucement mais sans relâche et il dit « tu sais, l’odeur de l’amour, c’est l’odeur des femmes propres ». Elle ne répondit rien de beau à ce moment. Il reprit « quand j’étais petit, je croyais que les hommes c’était sale et que les femmes c’était le propre. Et quand je me sentais tout krapouek, je filais le train aux filles plus grandes que moi pour sentir le propre dans le sillon de leur odeur. Toi tu sens le propre. » Elle s’aperçut alors de son frétillement et lui demanda, sur le ton de la plaisanterie « tu fais quoi, là ? ». Il se lavait.Il avait les tripes dans un sac trop petit, il lui pris le visage dans le bas des mains. C’était la plus belle chose qu’il ait jamais touché, la plus belle pomme du monde et c’était même pas une pomme encore, c’était qu’une pommerotte qui grandissait à l’air de la nature, c’était pas encore à croquer, c’était une petite chose sur laquelle il fallait veiller. Dans les plissements de ses lèvres il vit des choses que des générations de peintre sont morts de n’avoir pas pu peindre ; « c’est l’amour » il a pensé. « Merde » il a pensé ensuite, et il se lança : « tout ça, ça n’a rien à voir avec l’amour. Je t’aime, si tu savais, je t’aime. Tu me fais voir les choses différemment, les choses et puis les gens, tu es un regard. Tu me lèves le matin, tu me bordes le soir, quand je vois quelqu’un qui est moche, je me dis que c’est pas toi. Tu tords le monde, je sais pas comment te le dire, tu lui mets dessus une crème ou un autre truc de fille, et avec toi il est tout doux. Tu me résonnes, tu m’échos, tu me parles. Mais ça n’a rien à voir avec l’amour ».Ensuite, elle pleura, il pleura, ils s’aimèrent tellement que c’était l’amour de l’autre qu’ils vivaient, d’empathie et de dévouement, tellement ils changaient de peau pour mieux s’entre-protéger, et ils en finirent par se prendre dans les bras de l’autre. Elle chavira quelques minutes dans un coin du lit, c’était horrible, ce petit mouvement d’avant en arrière, comme les gosses qui n’ont qu’un œil, la chose la plus salope qu’il ait jamais vue ; elle était là et elle pleurait et il était tout petit parce qu’il était tout responsable de tout, et elle, elle basculait dans le coin noir du lit. Pour se donner du courage, il a pensé à tous ces hommes qui ont fait souffrir toutes ces femmes avant eux, mais pas l’espace d’un instant il ne put croire que leur douleur fût égale à la sienne. Ils se dirent des secrets et son chemin à lui était en train de changer, il l’aimait pour de bon et il ne savait plus ce qui était bien pour eux. C’était la peur de la perdre, il y a quelques secondes, qui lui pourrissait les artères. C’était la sottise, à ce moment là, qui lui fit chavirer le discours. Il devint doux, il devint tiède, il oublia tous les moments qui leur étaient destinés, leurs horribles déchirures, leurs disputes, leur vie petite et compliquée, il ne se souvint pas combien il la détesterait.« Ca m’énerve, dit-il, à chaque fois que je te donne un surnom, c’est le surnom que t’a donné un autre. Tu n’es ni une petite merveille, ni une bestiole. « Mupin ! » elle s’écria alors, en se tordant le dos, faisant poindre outrageusement deux bébés seins. Elle ne pleurait plus, c’était fini. « Non, pas mupin », il marmonna, « pas mupin et pas un animal. T’es bien trop petite pour être un animal, si t’étais un animal tu serais déjà dans le ventre d’un autre animal ». Il glissa sa main le long du drap, à quelques nanopouces de sa jambe, et il rentra ses doigts en lui côtoyant l’aine. D’habitude il ne touchait pas les femmes, mais là c’était tout comme si. Ca lui fit de l’effet, elle plissa les yeux comme quand on mange quelque chose de bon mais pas pareil. Il s’enhardit, sentit un truc de mec lui courir l’esprit et s’affala sur son côté du lit dans un bruit d’ailes. Contre toute prudence, elle rentra sa jambe sous la couette, et avec une astuce infinie, elle l’étira jusque sur les siennes. Il la tenait par le cou.Il se releva brusquement. Elle ne comprit pas pourquoi il s’était relevé comme ça et elle eût l’impression d’être lui dont le coeur si souvent ne faisait qu’un tour, elle eut l’ombre de mauvais souvenirs d’il y a trente seconde mais il dit « Plume ! Tu es la Plume. » « Une petite plume ? » elle demanda. Et il répondit que oui, « t’es ma petite plume, Plume. » Il la quittait. 

Anthony Soihier en Bretagne

Anthony Soihier en Bretagne

En July 2005
C'était l’été
Ref 134.4a

Ca commence bien avant. Je donne mes photos à la boulangère. Avec Anthony, je parts la voir. Elle et sa fille, des indiennes, trouvent ça absolument nul. « Vous êtes sûr que vous faites de la photographie ? » Je suis blessé, j’ai envie de leur parler du prix, de la valeur de chaque tirage, mais je leur achète des pains au chocolat par cinq, que d’ailleurs j’avais déjà (ou dont j’avais des équivalents en croissants, chaussons au pommes et pains au raisin de façon surnuméraire, preuve que ça commence bien avant). Pour le voyage de départ, la voiture contient Anthony, la boulangère qui conduit et la Honte. Nous nous haltons à un lycée, on parle. Anthony veut me convaincre de quelque chose, il ne comprend pas ma honte ou agit comme si elle n’était pas là. Il me coince entre deux tapis et une barrière de barbelés électrifiés, ce qui m’énerve. Pour enlever les tapis, il faut utiliser des « escaliers mécaniques griffés ». On les lance, ils s’accrochent, on tire. Je ne le fais pas, parce que je veux rester intègre. Ma honte est plus importante que cette situation stupide. (A un moment, j’avais pensé leur parler de mon album de photo, Les Deux Mondes (avaient-elles lu ses textes ? les avaient-elles compris ?). Mais je me suis dis que c’était de ma faute si elles ne comprenaient pas mes photographies.) Anthony parvient à me faire rire, je sens qu’il a gagné quelque chose (que je ne boude plus). Ca m’énerve avec rire. J’utilise l’escalier mécanique griffé pour me dégager des tapis et j’essaie d’attraper Anthony avec. C’est les tuyaux infinis de l’écran de veilles Microsoft. Anthony se sauve, saute partout sur les tables de cette rue maintenant bondée, puis se fait rattraper par les escalier et concabroyer dans un angle mort de ma vue. Je ne vois que l’explosion de sang. « Est-ce vraiment ça que je voulais ? » Je reste à ne rien pouvoir faire – ayant tué celui qui m’avait sauvé – sentiment des pleurs. Imminence du drame. Un défilement de visages. Je guette comme si j’allais prendre une photo, mais je sais que le regard d’un homme magnifique sur moi (barbe, teint arabe et vieux) dit que c’est moi la photo. L’homme dit « pour parler anglais, il faut alterner deux mots de français ».Leucate, 20 août 2004.