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This is the way the world ends

This is the way the world ends

En March 2011
C'était le printemps
Ref 281.27

Cauchemar, intervenu au milieu de la nuit, que j’ai lutté pour retenir, et y ai partiellement échoué.

Quelqu’un tient dans sa main l’extrémité du nœud coulant qui cercle ma gorge. Mais pourquoi est-ce que je pense que c’est Borges ? J’essaie de passer le bout de mes doigts entre la ligne et ma peau, mais l’espace se rétrécit. C’est une menace constante qui presse sur le fil de ma vie.

Sitôt que le dieu s’endort, je tente de faire couler la corde loin de mon cou, mais l’ébrouement du lit où je suis allongé l'alerte comme l'araignée et un temps il ne fait rien dans le noir — mais je sais que cela le réveille et qu'il me regarde chercher vainement un peu de longueur pour extraire ma tête du sévice. J’abandonne, me rendors, recommence (à ce moment précis il y a une litanie, une chanson composée de mots simples ; peut-être la clef du cadenas où le fil de la pelote. Je l'ai sue, je l'ai tournée derrière mon front, puis je l'ai oubliée).

Dehors il fait froid ; mes gigotements et la poigne ferme du dieu autour de la corde réchauffent l’air sous la couette. Il dort avec moi, juste là, je suis sa cuiller.

Rêve. Rue Rameau, le 12 février 2012

Il n’y a pas de bon moment choisi pour quitter quelqu’un. Partir est une sorte de décision que l’on prend dans un accès de lucide courage, clair et tranchant, comme le Föhn, un vent d’ombre de la pluie qui, en Bavière, descend des montagnes et rend un peu fou et soudainement libre. Il y a des meilleures façons de quitter quelqu’un, mais au moment où cela se produit (qui peut être multiple, qui peut durer des années), nous vient l’obsession de la justice. C’est l’idée de la justice qui nous empêche de partir. Tu ne mérites pas que je te fasses du mal ; tu ne m’en as jamais fait, et malgré tout je t’aime (on aime de nouveau la personne que l’on songe laisser). Ce n’est pas juste que je doive te faire souffrir. C'est innacceptable qu'alors que je suis encore avec toi, je doive te faire autant de mal ; je voudrais t'avoir déjà quitté ; si je t'avais déjà quitté, cela serait moins dur de te quitter. Le départ est un moment de crête où il faudrait déjà être qui nous serons demain matin (on se quitte souvent le soir), c'est un acte de pure foi.

Et il arrive qu’au lieu de partir pour être fidèle à soi-même, on reste contre l’idée de souiller, dans un acte injuste, un amour qui est déjà différent, une promesse qui est ancienne et précieuse, la personne que nous voulons être à l’avenir et qui est en train de s’écrire.

Catherine Françoise Dandrieux : «quand on est amoureux de quelqu’un, il faut apprendre aussi à lui faire du mal, parce que cela va arriver, et à ce moment-là aussi il faudra être là».

T.S. Eliot : This is the way the world ends Not with a bang but a whimper.

Bye—bye Woody

Bye—bye Woody

En June 2010
C'était l’été
Ref 257.25

D’abord quelques disparitions éparses, suivies par la découverte des corps abandonnés au sol sans dignité et à la vue de tous, laissent aux médias imaginer un, puis plusieurs tueurs dénués de la peur de la justice, inhumains et sans pudeur. Ensuite viennent les premiers vastes phénomènes, qui impliquent des meubles, des camions et des ponts. Les objets manufacturés se brisent, coupent, écrasent, poursuivent, hantent, oublient et pourchassent à nouveau. Les gratte-ciels de la baie de la rivière Hudson se séparent en deux et s’écroulent. Finalement les arbres et les pierres s’ouvrent, s’agitent et s’écroulent et l’océan qui se fend achève d’envahir l’horizon. Il a été décidé que cette version-ci devait recomencer, et nul soin n'est plus porté à en perpétuer les règles et la physique, ce qui veut dire que moi aussi je vais mourir, parmi la nécessaire et méthodique annulation de chacun des témoins.

Paris, le 3 mai 2011

Lue ne s'inquiète pas, rue Rameau

Lue ne s'inquiète pas, rue Rameau

En November -0001
C'était l’automne
Avec Lue
Ref 170.33a

Dans la collocation de San Pietro, je me lève un peu tard. Le grand appartement frissone de bruits de pas et de mots assourdis par la porte de ma chambre. Aujourd'hui il se passe un événement un peu spécial, c'est le jour où les domestiques peuvent dire ce qu'ils veulent des maîtres.Dans le long couloir qui dessert les chambres, des femmes de ménage, des repasseuses, des plieuses jacassent. Avant que j'aie le temps de comprendre, Hélène S.-M. vient me parler et me demande, comme si tout le monde se le demandait et que personne n'avait osé venir me voir, ce que je pensais du mariage. Je détourne mon regard vers la fenêtre, au travers de laquelle passe un ami déjà grand, monté sur des échasses. Je réponds finalement que Lue n'aurait pas été contre à l'époque où nous étions ensemble, et que maintenant que je sais ce que c'est, vu que je me suis bien occupé des petites à Manosque, je songe sérieusement à avoir un enfant. Mais d'abord je voudrais prendre ma douche.Sauf que toutes les salles de bain sont occupées par des rangeuses, et je ne voudrais pas, moi qui pense encore à la honte de se lever tard, déranger le travail des femmes, surtout ce jour de liberté de parole. Finalement je trouve une salle de bain avec une seule femme qui plie des longues couvertures abricot. Je voudrais bien l'aider, enfin pour que ça aille plus vite, mais je ne sais pas plier, pas bien du tout. Entre les épaisseurs de couverture je vois des bosses et des petites brillances, et le long de son travail, la plieuse fait tomber sur une table une collection d'objets nickelés, des lampes, des visses, des tubes en fer. Je ne savais pas qu'il y avait des secrets dans les couvertures ouvertes, et peut-être serai-je le seul à le savoir jamais, car la femme qui s'affaire en face se moi ne voit rien, n'entend rien.Rome, le 10 août 2007

mvd rue Rameau (par Lue)

mvd rue Rameau (par Lue)

En November -0001
C'était l’automne
Ref 137.25

Ma mère vient d'arriver pour la kermesse des arcades, aux jardins du Palais Royal. Sylvain est en retard et nous avons rendez-vous avec Renaud, dans un rad. Je pose le Leica, avec son 90 sur une chaise et je parcours toutes les arcades pour rejoindre ma mère. Elle est dans une villa et elle va bien. De retour de l'autre côté des arcades, je demande à un vendeur de journaux s'il a vu le Leica. Il me dit que quelqu'un est entré pour prendre l'appareil photo. Je suis mortifié. Je veux, un instant, regarder sous son étalage pour voir si ce n'est pas lui le voleur. Je lui demande qui c'était, à quoi il ressemblait. Il me dit "un homme très beau, accompagné de deux autres avec des bas sur la tête", comme les rappeurs. Comme je m'en veux de ne pas avoir cherché ces gens des yeux, de l'autre côté des arcades ! Ils me sont obligatoirement passés devant sur le chemin du retour. Je rentre dans ma chambre de Saint Gratien, la première. Je dors dans mon lit superposé, et il y a Eric Sauvion, qui pour la veille est le fantôme d’un ami. Je me relève parce que je n'arrive pas à dormir, je fouille partout, même les endroits secrets (de cette chambre passée) où j'avais caché des objets secrets. Quelques fois je bute bien sur un autre appareil, je vois clairement la Retinette de mon Grand Père sous la table à Legos, quelques autres, mais du Leica : rien. Je le dis à Eric, sur le ton du reproche (d'un coup il avait eu quelque chose à voir avec les arcades) : c'est bel et bien fini, le Leica n'est plus, le Leica et son 90. Résigné, je prends la voiture (j'adore conduire, je conduis très bien, comme à chaque fois) et je vais finalement accomplir le rendez-vous au rad, mais je ne sais pas où est Sylvain. Je fais demi-tour pour retourner le chercher, j'imagine Renaud qui nous attend. Ma peine est infinie, mais déjà des autres choses se passent, le rêve se dilue et je me réveille, très libre et affolé. J’ai remercié quelque chose. (Hier, en rentrant, au lieu de mettre le Leica et son 90 sur les étagères, je les avais mis sur le lit. Pour m'endormir, je n'ai pas eu la force de les ranger, je me suis permis de les poser au sol et le déplaçant, par la sangle.)