Le bouquet de la mariée
C'était le printemps
Dans le bateau qui nous mène au lieu de la marche en montagne, il y a trois zones : une zone froide sur le pont qui est rayée par le grain de la marée, une zone intermédiaire dans la cabine que l’on atteint avec des portes coulissantes, et une zone chaude, au coeur, près des engins, où la lumière qui se balance sur les planches est jaune et riche. Comme à une table sans hôte, nous ne savons d’abord pas où nous mettre tous pour passer la nuit ; une certaine honte nous empêche de priver notre prochain d’une place au chaud. La distribution se fait à grand peine. Peu sont assez droits dans leurs bottes pour se mettre dans un coin et cesser d’imaginer le feu des machines qui aurait pu leur lêcher le bout des pieds. Quant à moi, je me balade d’une zone à l’autre. La traversée est longue et nous devons prendre des forces. Là-bas, la grosse montagne découpe, dans le ciel qui tangue, une pyramide sans étoiles.
A seulement quelques miles de la plage, je réalise que j’ai oublié l’essentiel dans mon baluchon : mes chaussures de montagne, mes Meindl ! J’alerte mes compagnons. Comment ai-je pu faire tout ce chemin pour rien ? Renaud me met aux pieds des baskets noires, mais je sais ce que c’est que de faire une chose avec un équipement inadéquat. La chose se venge.
Finalement, j'accompagne lentement la cordée parmi des vallées de villages herbus où la lumière découpe les flans des rochers et les ponts de taille comme des ciseaux. Espèces végétales inconnues, animaux prodigieux, cultes superstitieux des vents et des ombres racontés par les rois de chaque tribu dans des langues chiffrées. La plaine se transforme peu à peu, je sais que la montagne s’élance doucement sous nos pieds et que je ne pourrais pas lui rendre ce qu’elle attend de moi. En m’effondrant de pleurs, j’articule au travers de mes mains que me ronge la peine de ralentir la cordée. Mais, au fond de mon coeur, ces montagnes de Bavière que nous grimpions et qu’il m’était offert de dépasser aujourd’hui me regardent, leur image sourde et immense me remplit de la certitude que, si je mets, comme quand on apprend à marcher, un pied devant l’autre sans trop y réfléchir, il y existe un sommet pour moi et je pourrai le prendre, il m’appartiendra, comme avant à tous les autres enfants il a appartenu ; et je regarderai d’en haut le reste du monde qui me dira «viens». Toi tu te caches dans ses replis et tu me sais.
Rêvé à Paris le 21 février 2012
J’accroche mon vélo à la herse qui protège une fenêtre basse, juste devant la maison de l’enfilade de la rue où nous avons rendez-vous. La nuit, le paysage inconnu, ce quartier difficile à sonder sont à mon désavantage, et il me faut une grande force d’esprit pour quitter le soupçon qu'on me volera mon vélo, et me laisser aller à la soirée.
L’intérieur de la maison est vieillot et faussement marbré. Nombreuses plantes en plastiques qui pendent de pots en plastiques. Une seconde partie de la soirée s’écoule paisiblement sans que mon esprit ne revienne sur mon vélo. Mais cela finit par revenir, car je suis obsédé par la justice. Cependant, il est déjà trop tard lorsque je décide de prendre les devants : je le vois parle carreau de la fenêtre, on m’a volé ma selle (encore, troisième fois) et je m'enfonce dans un fauteuil couvert d’une toile aux motifs floraux, le visage entre les mains.
Soudain Laura était à cette soirée. Il n’est pas impossible que cela aussi je l’ai su tout du long, mais pour nous protéger elle et moi, je l’avais oublié aussi. Ce simple fait achève de me désarmer, et je me mets à pleurer, des larmes qui emportent le souvenir de ma selle sur mes ischions, le sentiment obscure du viol, le dégout devant l’injustice, la frustration d’un crédit que je ne solderai pas avec ce voleur, une grosse envie de rébellion contre tous les couvreurs de fauteuils qui aiment les motifs floraux. Puis je me rappelle qu’en me souvenant de mon vélo, je me suis aussi souvenu de Laura, et que si les deux existent, alors je suis à la fois en danger ici, et sauf dans ma vie. Laura me prendra dans ses doigts, il suffit que je la trouve parmi les marbres de la jungle et les fleurs jaunes qui coulent maintenant des papiers peints.
Paris 21 janvier 2012
Quelqu’un avait commis un grand crime. La police s’était emparée de l’affaire. Il s’agissait d’un homme blanc qui était responsable d’une exaction depuis le derrière de son bureau sur une personne qui se trouvait de l’autre côté, et dont la tête était tombée par suite de leur échange. On avait procédé à toutes les fouilles imaginables pour parvenir à élucider le sens du crime, et l’appartement du condamné était vidé de tous ses tiroirs. Cependant, pour les besoins du cours de la justice, il allait falloir y retourner et conduire une énième reconstitution des faits, et c’est à ce moment que les autorités font appel à moi. Elles ne se doutent pas du fait que je suis le véritable coupable et que non seulement je n’ignore rien des détails du crime sur lequel on va me demander d'enquêter, mais qu’en plus, parce que je me bats avec ma conscience pour rester le plus loin possible de l’affaire et de ses visages, le simple fait de devoir retourner sur le lieu des événements m’inflige un grand soucis qui est déjà une punition ; si je parvenais à le leur faire savoir, ils pourraient déduire cette souffrance de ma peine, mais aussi cela me dénoncerait.
Dans l’appartement, tout est occasion pour retrouver les effectifs personnels que la précipitation m’avait forcé à abandonner. Chaque question précise sur l’angle d’une chute me rapproche d’un baluchon où dorment mes anneaux et mes mouchoirs brodés. Cette place d’enquêteur me torture, mais je dois la remplir consciencieusement. Si je le fais trop bien, ils se douteront que je suis au courant de quelque chose. Si je rabaisse mes facultés, ils douteront de ma qualité humaine de limier et de mon sens civique, et je serai véxé et humilié.
Pendant que nous cherchons en équipe le sens du crime que j’ai commis, je me surprends à souhaiter que mes chats, laissés précipitamment sur le balcon, en soient libérés et, en me reconnaissant, trahissent que nous nous connaissons, ainsi ma peine pourrait commencer au plus vite, ce qui me rapprocherait nécessairement de sa fin. J’embrasse en pensée ce futur où se superposent de manière confuse la prison et la libération, en regardant dans leurs yeux jaunes de prédateurs crépusculaires l’éternité qui se reflète.
Multiples péripéties comptant des seuils de porte ; un personnage majeur détenteur d’un secret mais ayant perdu la mémoire ; le regard des rois de Norvège sur ce personnage ; la sensation du tiède.
Finalement il m’incombe d’accompagner un personnage en gilet vert le long de son chemin, par où qu’il aille, quoi que la météorologie lui dispense. Ce personnage est mystérieux et je n’ose pas le regarder dans les yeux. En passant à vue d’un chapelet de chiens je pense que je suis là pour le protéger des dangers. Je parviens tard dans notre traversée de la plaine à la conclusion qu’il est là, lui, pour m’éloigner des animaux sauvages qui me cherchent, et que c’est lui qui m’accompagne et non l’inverse.
Nous ne parlons pas. Je ne connais pas le son de sa voix. Une fois dans la plaine je songeai que sa présence était peut-être une invention ingénieuse qui permettrait aux phrases de ce rêve de ne pas toujours commencer par «je».
Nous parvenons à un parc abandonné, établi là par des générations passées de forains et que la forêt à rattrapé. Couvert de curiosité, personne ici ne pouvant me juger, je tente de trouver le visage de mon compagnon. Je lui ôte sa capuche en passant mes doigts sur son visage. C’est un joli garçon des Amériques du sud : des joues qui trahissent une féminité enfantine, une bouche incapable de déclarer des duels, ni de proférer des menaces, les cheveux sombres et épais, et une certaine modestie vis-à-vis de cette grande beauté qui est — soudainement cela me frappe — le seul trait qui le différencie de L.
Je fouillerai avec insistance dans ses yeux fuyants la ligne discutable qui déparie les torts de la raison, alors que nous passons la façade d’un théâtre des miroirs, retenue par les branches des arbres et les feuilles de la forêt qui se multiplient et se multiplient en chemins avenants.
Quand le rêve se termine nous continuons de marcher de manière ambigüe.
Munich, 22 aout 2012
Quelques minutes avant notre séance, Dyna et moi nous retrouvons dans un paysage urbain moderne, composé de plateaux de dalles, d’escaliers qui mènent à des agoras vides, de tours de verres et d’éclairages. Nous entrons dans l’une des tours, à un étage haut de laquelle se trouve le cinéma. Pendant toute la montée, à chacune de ses phases, la traversée de pièces et de couloirs coudés tapissés de rouge, d’escaliers arrières, de portes coupe-feu, Dyna exécute les mouvements d’une danse longuement étudiée et dont la maîtrise lui procure une grande satisfaction. Je la suis accrocher les grillages, enchanter les pylônes, serpenter par les lignes verticales des balustrades. Il se peut que le Leica, qui regardait les mouvements silencieux, en ait gardé quelque chose pour lui.
Parvenus au niveau du cinéma, nous marchons avec l’assurance de jeunes gens qui côtoient la beauté, et peu de passion pour le film à grand spectacle qui nous attend.
Rêvé à Paris, 18 juillet 2010
Nous sommes toute une bande à la terrasse d’un café du genre proche de la plage, cerclé par des paravents de paille, mais dans les angles difficiles duquel le sable est parvenu à s’infiltrer. Je remarque qu’à la table d’a côté il y a deux hommes et deux filles qui ne vont pas de paire. L’une des filles est très jolie, blonde, queue de cheval, gentil visage. Je suis au bord de ma table, elle au bord de la sienne, les gens qui rentrent et sortent nous séparent mais à part cela nous écoutons secrètement quels mots qui sortent de nos bouches pourraient trahir les traits de nos caractères. Je fais le premier pas. Le groupe m’accueille bien, ils avaient eux aussi compris. Puis, à un moment, elle s’approche de moi en me regardant de près et nous nous embrassons.
Le lendemain, nous avions rendez-vous a la plage. En allant me préparer, je rencontre une fille sous les arcades d’une cité de bungalows. Blonde, queue de cheval, visage gentil. Je crois bien sûr qu’elles sont la même, l’identique longue altérité. Mais celle-ci, lorsqu’elle me parle, je sais que je l’aime, c’est une chose très différente. Je suis perdu.
Deux des copines de la première passent par hasard, ce qui m'oblige à me cacher (alors que je n’y suis pour rien). Arrivé à la plage du rendez-vous, je joue le jeu absolu de la gentillesse. C’est le remord, la confusion, la peur et une vieille promesse qu’on se fait qui en fait s'expriment.
Je m’écarte finalement de la première fille pour aller chercher les ingrédients de la cuisine de ce soir. Mari parfait qui ment. Dans le magasin m’attend la seconde, la vraie. Elle comprend instantanément cependant que je suis suivi et sort du magasin dès mon arrivée. Les signes sont difficiles à lire, je ne suis pas absolument certain qu’elle ne soit pas partie pour toujours ! Je confonds les deux copines qui me suivaient et les charge avec les courses. Je sors du magasin, gravis les marches qui s’écartent vers la ville, la peur au cœur que celle que j’aime soit partie pour de vrai - mais non, elle me lit, elle sait tout, elle veille sur moi. La voila en haut dans le soleil et les cheveux. Nous nous attrapons dans les escaliers à bout de souffle et, malgré les adversités invisibles que nous nous construisons, et le grain de la marée, le rêve se perpétue en notre amour indivis.
17 mars 2012 Paris