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Porte des songes

Porte des songes

En July 2004
C'était l’été
Ref 100.8

On se réveille un matin du sommeil de celui qui ne sait pas où il dort (ailleurs que dans une Touran de location), et il y eu cette porte.Aux colones 329-330 (POR-POS) de l'encyclopédie théologique de l'Abbé Migne, j'ai lu ceci :   PORTE DES SONGES. Dans Virgile, l'une est de corne, l'autre est d'ivoire. Par la porte de corne passent les songes véritables, et par la porte d'ivoire, les vaines illustions et les songes trompeurs.   Quelques auteurs qui ont lu Borges s'inspirent évidemment de lui. Son oeuvre est si juste que ceux qui le précédent pourraient lui avoir succedé : certains auteurs qui n'ont pas lu Borges, morts sur un autre continent, dans un autre temps, semblent avoir lu Borges ou n'avoir écrit que pour que quatorze de leurs mots se retrouvent dans les pages de ses livres.   Je crois avoir lu de lui cette citation de Virgile, peut-être même mot pour mot. Cependant, moi qui ai fatigué orgeuilleusement les livres de Borges, je n'ai pas été capable de retrouver la phrase, ni même la nouvelle. Comme en rêve, j'ai le souvenir diffus que c'était sur une page de droite, un peu en haut, et je vois presque encore le rythme des paragraphes, un saut de ligne qui se voulait dramatique, la caractère de l'édition. Lorsque je m'approche des mots, pourtant, ce que je redoute se produit : ils ne se précisent pas, ils s'échappent "comme l'eau dans l'eau". Il est tard et je dois aller me coucher en supportant de voir la citation voler sans page, sans nouvelle, sans livre, peut-être sans Borges, et je finis par craindre que cette phrase me soit venue une nuit que j'avais emprunté la porte d'ivoire, au cours d'un songe trompeur, qui m'aurait annoncé la fausse différence entre les vaines illusions et les songes véritables, sous la barbe consolante de la figure de Virgile. 

mvd bd Beaumarchais (par Lue)

mvd bd Beaumarchais (par Lue)

À Paris
En May 2004
C'était le printemps
Ref 90.16

Le narrateur ou le ProtagonisteJe regarde, sans attention inédite, la multitude des visages qui peuple en perspective la longueur d’un métro ; l’habitude. Mon regard ne dure qu’un infime moment mais, aujourd’hui, ce moment se déploie en moi comme un arbre. Tout d’abord la configuration des passagers m’apparaît suspecte, quelque chose en elle de vagabond et de précis me dérange. L’idée me vient que les choses qui s’agencent devant moi ont un sens caché ou un secret ; les passagers ne sont pas ici de leur plein gré mais plutôt dénoncent autre chose de séculaire, à l’œuvre et sourd, convergeant maintenant sous mon œil ; j’assiste à une combinaison dont ces hommes sont les éléments irresponsables. Sans raison, j’ai le sentiment que je peux trouver un sens dans l’inextricable toile des motifs personnels qui aboutirent à cet instant, j’ai le sentiment que le secret des foules et de leurs trajets est un texte écrit quelque part et qu’il est possible de le lire, de le posséder.Dans un second temps, je me rappelle avoir déjà eu la sensation diffuse que les choses ne sont pas ce qu’elles ont l’air d’être (l’impression très commune qu’on ne nous montre pas tout, qu’il y a autre chose), sans être jamais parvenu à le formuler convenablement. Comme ce souvenir n’a pas d’odeur, j’en déduis qu’il est l’unique mémoire de nombreux moments mélangés. Je me souviens qu’à chacun de ces moments je fis des efforts pour ne pas parler de puissance supérieure, de mécanisme et de dieux, d’arrières-mondes et de cavernes et j’ai de la peine pour moi-même. Ces expressions que j’essayais d’éviter se collent alors à ma tête et, l’esprit plein de mots qui ne m’appartiennent pas, je réalise que l’idée du sens secret des choses, que j’avais eue tant de fois, n’est pas de moi. Elle est de quelqu’un d’autre, peut-être un ami ou un monstre mythique, multiple et sans visage (qu’un ami aurait été une fois), quelqu’un avec qui j’aurais conversé tout au long de ma vie.Enfin, l’image du métro me revenant, je revois quelqu’un qui me regarde sans attention. Il réveille sur mon corps le frôlement des fantômes, ces hommes qui auparavant pensèrent comme moi, un autre jour, ailleurs et qui le firent peut-être à l’instant même, en face de moi, en regardant comme cet homme, sans attention, la longue perspective du métro qui s’étale derrière moi. Leur nombre que je ne compte pas fait sombrer mon idée dans le domaine public et sa vulgarité cesse de me fasciner pour commencer de me faire peur.L’idée provenait des incessants chuchotements du monde, elle était dans ma culture avant que je ne l’ai, je ne peux pas la griffer, elle ne peut pas porter ma marque, elle parle de toi autant que de moi. Je la remplace par une haine incommensurable pour mon propre reflet dans le miroir de ce type, qui n’a rien fait d’autre que son bout de chemin en métro mais qui m’a destitué de la spécialité d’une idée chère et me fit douter de l’unicité de ma vie tout entière ; son regard fait de moi un motif quelconque au milieu d’une toile inextricable ; mes motifs et ma présence dans le métro deviennent obscures. Persuadé de son innocence (cet homme ne m’a peut-être jamais vu), je deviens incapable de le haïr, je me mets en colère tout seul. Pourtant je ne cesse de le plonger dans mon mépris, je lève mon sourcil droit, je mime son absence. L’inconnu du métro devient la métaphore du mal que je fais à mes amis en menant ma vie comme je l’entends, du mal que je leur fais en étant innocent du mal que je leur fais et du vertige que me font éprouver ces situations emmêlées, sans responsable et sans coupable.