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Saint Michel

Saint Michel

En December 2003
C'était l’hiver
Ref 38.8

Cette nuit, j'ai rêvé longtemps de mon père. Je le croise par hasard dans une bouche de métro, il me passe par la gauche, il n'est pas laid. Je m'arrête, pétrifié, puis je me retourne dans la foule et je l'appelle. Je crois qu'il fuit, je me souviens d'une course-poursuite et de grillages enjambés et d'escaliers. Nous arrivons comme sur des docks éclairés de nuit par une lumière orange. Je prends une photo de mon père qui se laisse prendre, et dans cette photo où il apparaît à droite, je décadre pour qu'à gauche, projetée sur un filet ou une carcasse, on voit mon ombre.C'était un rêve beaucoup plus long, peut-être plus censé, que je ne suis pas parvenu à retenir entièrement. Il ressemble aussi à un rêve plus ancien, mais qui me semble aujourd’hui rêvé hier.Paris, 30 janvier 2007 

Palais Royal

Palais Royal

En October 2003
C'était l’automne
Ref 28.12a

Parabole d’un homme qui tombe  Mon second film n’a jamais été terminé, ses images sont oubliées. Il racontait naïvement l’histoire d’un jeune éphèbe au sommet fragile de sa petite gloire et dont une fille se séparait inopinément. Dans la déchéance rapide et pathétique que provoquait cette perte, il entraînait sans le vouloir le seul véritable ami qu’il eût pu avoir. Il le savait tout le long et ç’aurait dû être ça, l’intérêt dramatique du film. Au commencement du travail d’écriture, il y avait une idée que je donne ici, qui est en fait la mise en sens d’un rêve ou d’une projection ou peut-être des deux. J’ai vu l’histoire d’un homme qui était au cœur d’un ravin. En fait, imaginez une paroi infinie qui s’étend dans toutes les directions à l’exception du bas, si bien qu’accroché à une forme hasardeuse de végétation, l’homme est persuadé de son sort et de la vanité de toute entreprise d’escalade ; il est impossible de remonter et la chute mortelle est inévitable. Il va périr écrasé. Petit à petit sa réalité se recroqueville autour d’une seule possibilité, qui devient son destin. Tout lui paraît clair et il en ressent un certain plaisir pervers. La seule idée possible est que le temps continue de s’écouler avant la mort. D’autres idées lui viennent bien, mais elles s’évanouissent aussitôt à cause de leur absence de justification : plus rien n’est utile sinon le constat du présent. Parfois, en proie à une crise d’effroi, l’homme pense qu’il ne veut pas penser la réduction de son pouvoir sur le monde et aussi que cette pensée est sa dernière réalisation, son dernier acte dans le monde. L’instant suivant il se rassérène et l’avenir lui redevient certain, pourtant il ne parvient pas à se résigner et reste cramponné à sa plante. Finalement, l’homme tombe. Le long de sa chute, il s’enorgueillit de vivre ce que personne ne peut vivre (ou que tout le monde vit mais ne peut pas raconter et qui, par voie de conséquence, est toujours nouveau) c'est-à-dire l’expérience de la certitude de la mort. En fait, l’homme qui tombe ne fait l’expérience que d’une nouvelle certitude de la mort, qui s’accompagne accidentellement d’une sensation nouvelle aussi quoique familière, celle du corps en chute libre. Rien ne change et il continue à vivre pendant sa chute, sauf que sa foi en la mort prend une forme inédite à cause d’une intuition, peut-être celle de l’imminence de la mort (parler de la mort, dit Lacan en salle Dussane, est une question de foi). J’ai été cet homme, comme tout le monde l’a aussi été et, tout le long de mes chutes comme lui dans la sienne, j’ai battu des bras pathétiquement, affirmant ainsi mon engagement dans ma foi de la mort et en ma peur de mourir, qui est un engagement dans un sentiment donc dans la vie. Si je m’agitais en chutant, c’était toujours dans l’espoir qu’il n’y ait rien de vrai, que tout cela ne fût qu’un rêve ou peut-être que mes moulinets rencontreraient une inexistante végétation en contrebas, une nouvelle chance de repousser au plus loin le terme de ma vie. Cet homme que j’ai vu vécut à deux moments distincts de son histoire la même peur de la même chose (cramponné et en chute libre il craignait la mort), mais chaque fois il l’éprouvait d’une nouvelle manière. Les différentes certitudes qui l’ont successivement habité furent en fait le tissu de sa vie car c’est sur ces certitudes qu’il fit ses choix ; ce sont précisément ces certitudes qui firent de lui un homme et non un autre. Je suppose aujourd’hui qu’il peut avoir lâché prise volontairement ou conduit par une forme de folie de la logique, persuadé simultanément de son destin de mort et de la nécessité absolue de sa vie, nécessaire ne serait-ce qu’à l’idée de folie. Le sentiment que je lui imagine au moment de basculer de l’état végétatif à l’état de chute est un mélange précipité d’immortalité, de résignation et de jouissance humaine. Il savait que tout présuppose la vie, même la peur. Au final et d’une certaine façon, il est juste de dire que cet homme ne périt jamais.