
J'ai rêvé de mon père il y a trente secondes. Je décends une allée, il est là, je ne l'attendais pas. Il est très propre, assez beau, je me cache pour qu'il ne me voie pas, puis je me montre (souvenir : j'ai déjà essayé de l'éviter). Il parle d'une voix calme : "il paraît que tu me cherches, mais j'avais ton numéro. Pas de contact pendant 2 ans, c'est quelque chose de normal dans notre histoire, tu ne devrais pas t'inquiéter". Je lui en veux, nous discutons, il y a un escalator qui part de ses pieds et descend vers je ne sais où. J'ai un frère jumeau. Je ne parle pas pour moi, mais pour lui "tu te rends compte de ce qu'il vit ?" Mon père travaille pour le gouvernement, c'est frappant à quel point il n'est pas dans un état de décrépitude, il ressemble à mon reflet d'hier soir, en cravate, très bien habillé, le regard pointu. Avec ce travail, je fais de lui une personne avec un vrai pouvoir social, tous ses secrets, toutes ses absences ne sont plus des bitures mais des responsabilités. Chirac est à ses côtés, convalescent, j'hésite à descendre l'escalator, je vois les stries dans ses marches défiler à mes pieds. Derrière Chirac et mon père s'étale une veste étendue de béton où se couche le soleil. Depuis l'escalator mouvant, je dégaine le Leica pour attraper un moment de cette scène fabuleuse où mon père est un homme respectable. Le soleil en contre jour, un homme important apparaît par la gauche, ils sont trois dans le cadre, et au travers du viseur, aveuglé par la lumière, je vois à côté de Chirac que mon père est un lion à la crinière flamboyante et je prends des photos avec la certitude qu'elles survivront au rêve qui s’achève.
Cette nuit, j'ai rêvé longtemps de mon père. Je le croise par hasard dans une bouche de métro, il me passe par la gauche, il n'est pas laid. Je m'arrête, pétrifié, puis je me retourne dans la foule et je l'appelle. Je crois qu'il fuit, je me souviens d'une course-poursuite et de grillages enjambés et d'escaliers. Nous arrivons comme sur des docks éclairés de nuit par une lumière orange. Je prends une photo de mon père qui se laisse prendre, et dans cette photo où il apparaît à droite, je décadre pour qu'à gauche, projetée sur un filet ou une carcasse, on voit mon ombre.C'était un rêve beaucoup plus long, peut-être plus censé, que je ne suis pas parvenu à retenir entièrement. Il ressemble aussi à un rêve plus ancien, mais qui me semble aujourd’hui rêvé hier.Paris, 30 janvier 2007